Christopher Nolan est de retour dans les salles obscures avec un film très attendu, c'est le moins que l'on puisse dire, à la fois par les exploitants de cinéma et par un public plus ou moins large qui a été sevré de films pendant un temps conséquent. Après avoir touché au film de guerre avec Dunkirk, le cinéaste s’attaque cette fois- ci, avec Tenet, à un genre qui lui tient particulièrement à cœur : le film d’espionnage.
Grand amateur assumé des James Bond, et particulièrement de L’espion qui m’aimait, film qui l’a grandement marqué durant son enfance, Nolan s’est inspiré de ses souvenirs de spectateur et de son amour pour la saga afin de façonner Tenet sur lequel il travaille depuis plus de 7 ans. Ce long cheminement lui aura permis d’intégrer au mieux la thématique qui traverse sa filmographie sous différentes formes depuis ses débuts : le temps. Tenet est l’histoire d’un agent de la CIA (John David Washington) qui découvre, à la suite d’une mission ratée, l'existence d’une guerre latente et d’une menace venant du futur qui pourraient bien mettre fin à l’humanité.
La particularité du film tient dans sa construction qui s’architecture autour de l'idée de déconstruire les séries temporelles. Non content, comme tout bon film d’espionnage, de se développer à l'échelle internationale, Tenet déploie un récit qui suit une temporalité multi-directionnelle. Nolan travaille ici son obsession du temps d’une manière qui diffère de ses précédentes réalisations. L'auteur bouleverse la logique du temps universel n'hésitant pas à modifier la perception commune des faits (le montage troublera nombre de spectateurs notamment dans la représentation des actes ou des dialogues) ou encore en inversant le cours des événements. Au lieu de voyager à travers le temps comme dans Terminator ou Retour vers le Futur, les protagonistes vont y évoluer à contre courant ou en respectant l'écoulement normal du temps. Cette façon de naviguer en amont ou en aval du présent est assez complexe à comprendre lorsque le film nous l’expose pour la première fois. Néanmoins, le spectateur attentif va rapidement assimiler le fonctionnement de ces voyages inversés et, donc, des principes narratifs choisis par le cinéaste. Cette façon de scinder le temps en deux directions distinctes, même si elle apporte des idées de mise en scène très intéressantes, apparaît parfois confuse et inutilement complexe (on retrouve là quelque travers du cinéaste attaché à filmer son scénario à la lettre) et cela nuit à la clarté de certaines scènes.
En revanche, les scènes d’action affichent une virtuosité qui agrémentent le film d'un spectaculaire qui sert le propos. Ce point-là avait souvent fait défaut à Nolan, toujours tiraillé entre le sens du montré et la manière de montrer. Phénomène particulièrement visible dans sa trilogie Dark Knight. Mais, cette fois-ci, il a su s’entourer d’une excellente équipe de collaborateurs qui, tous, témoignent dans leurs domaines respectifs d'un savoir-faire incontestable dès qu'il s'agit d'ajouter de la pyrotechnie au film. Les cascadeurs, par exemple, constituent une valeur ajoutée indéniable à l'univers de Nolan ; les affrontements à mains nus sont très prenants, ciselés par des chorégraphes de la saga John Wick et de certains films de l’univers Marvel qui restent connus pour leurs créations de combats dantesques. Cela contribue à donner plus de cohérence aux personnages qui savent, en tant qu’espions et membres d’agences gouvernementales, se battre et se défendre, donnant aussi naissance à de fabuleuses séquences de combats mélangeant des personnes positionnées sur différentes trajectoires temporelles.
Nolan, pour une fois seul scénariste du film, n’hésite pas à utiliser et parfois abuser de certains de ses tics. Ainsi, des explications et des dialogues inutilement longs ralentissent le film qui semble ainsi durer bien plus que ses 2h30. On regretterait presque l'absence de Jonathan Nolan qui, même s’il s'est un peu égaré avec la série Westworld, apportait une cohérence aux récits de son frère tout en limitant ses gimmicks. Bien heureusement l'effet de ces longueurs est atténué par des séquences époustouflantes qui ne manquent pas de créativité. On pense particulièrement la scène de l’avion qui est d’autant plus impressionnante qu’elle a été tournée sans VFX majeurs. Le duo Washington/Pattinson fonctionne parfaitement et crédibilise leurs interactions et permet de rendre les dialogues plus digestes.
Avec Tenet, Christopher Nolan écrit une lettre d’amour au cinéma d’espionnage, genre qu’il affectionne tant. Cela ne va pas sans le risque de se perdre dans les caractéristiques de son cinéma et notamment cette habitude qui consiste à vouloir expliquer à tout prix le concept principal de ses œuvres rendu, souvent, inutilement complexe par un respect à tout crin des soubresauts scénaristiques. À jouer avec ses spectateurs, Nolan les perd et se perd dans un récit labyrinthique qui semblait pourtant constituer une base formidable pour questionner le temps, l'un des matériaux essentiels de ce qui singularise l'art cinématographique. Hélas, le verbe, une nouvelle fois, s'est emparé de la création filmique. Tenet est sans aucun doute un projet qui avait une importance capitale pour l'auteur pour des raisons intimes mais sa matérialisation risque de paraître indigeste pour de nombreux spectateurs. Quoiqu’il en soit, Tenet reste une expérience visuelle incroyable, non sans frisson et trouvailles qui ont le mérite d'envisager, à l'image de ce qui fut approché avec Interstellar, une nouvelle manière de raconter et surtout de filmer l’élément surexploité qu’est le voyage temporel. Au final Tenet se résume lui même : “Don’t try to understand it, feel it”.
Crédit photographique : © 2020 - Warner Bros. Pictures