City Hall- Jour2Fête
Publié par Stéphane Charrière - 29 avril 2021
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
City Hall, le nouveau film de Frederick Wiseman, formule un argument nouveau qui s’ajoute à l’état des lieux établi par toute l’œuvre du cinéaste. La réflexion menée par Wiseman depuis toujours s’enrichit de film en film et chacun d’entre eux, à sa manière, apporte son lot d’informations sur le fonctionnement des démocraties occidentales étudiées à travers le prisme américain. Wiseman est un portraitiste, un observateur avisé qui sait saisir l’instant où les riens qui font le monde s’assemblent pour construire un tout évocateur. City Hall s’accorde avec l’objet de l’œuvre et prolonge les réflexions soulevées par Ex libris : The New York Public Library, Monrovia, Indiana, In Jackson Heights ou encore At Berkeley.
Le rapport de l’individu à l’institution peint par Wiseman induit inévitablement une dimension politique dans le processus de création. Car les questions chères à Wiseman, les problématiques soulevées par ses films, permettent de mieux cerner les liens de causalité qui relient l’individu à la société. Comment faire cause commune ? Comment trouver un équilibre collectif à partir des diversités sociales et ethniques qui habitent un territoire ? Comment combiner les différences culturelles les unes aux autres ?
City Hall est sans doute la réponse la plus précise apportée à ces interrogations. Car City Hall, dès son titre, annonce un horizon spatial et thématique où peuvent se concentrer tous les questionnements de l’auteur. Il s’agira d’observer ici comment une gouvernance et une interaction citoyenne peuvent se développer à l’échelle d’une municipalité conséquente, celle de Boston. Le fonctionnement administratif de la ville de Boston devient une étude de cas puisque la population de la cité est représentative des particularités communautaires américaines.
Pour que cela fonctionne, pour que les enjeux soient transmis, perçus et entendus par le spectateur, Wiseman procède à une humanisation du propos. Le cinéaste choisit d’incarner toutes ses intentions à travers la figure du maire de la ville, M. Walsh. Le principe formel substantifie ainsi le contenu filmique et facilite un rapprochement entre le spectateur et l’image. Le cinéaste procède donc à un réajustement d’échelle. Le film s’ouvre sur quatre scènes représentatives des intentions de l’auteur : la réception d’appels de résidents pour signaler différents problèmes (une scène identique clôturera le film), une scène de réunion entre le maire et des officiers de la police municipale puis l’exposition du budget de la municipalité de Boston et un mariage.
La progression des événements décrits par ces séquences illustre parfaitement les intentions de Wiseman. D’abord parce que ces quatre scènes témoignent de quatre fonctions essentielles (liste non exhaustive) pour définir le rôle d’une administration municipale. Mais aussi et surtout parce que ces quatre situations sont représentatives de la volonté de ramener le politique sur le territoire de l’humain. Lorsque sont évoqués les chiffres du budget municipal, une forme d’abstraction s’empare du discours filmique. Les chiffres donnent le tournis, ils dépassent l’entendement. Ils sont au-delà de ce que l’individu moyen peut entendre et appréhender. Et soudainement, le film bascule sur un mariage consenti dans une intimité avouée. Le réajustement d’échelle évoqué en amont est ainsi initié. Désormais, il faudra passer par le singulier pour jauger les effets du politique sur la communauté.
De la même manière, Wiseman humanise la parole politique. Le film se plaît à mesurer la propagation des propos tenus par le maire en différentes occasions. Plusieurs commissions d’études se réunissent aux quatre coins de la ville pour appliquer une politique participative avant le développement de projets urbains ou sociaux. Le but de ces réunions est de convier les habitants à venir débattre des projets en question. Toutes ces commissions ambitionnent avant tout d’intégrer à la vie de la cité les résidents de tous les quartiers. Le politique qui est à l’œuvre ici s’oppose donc à la vision de l’administration Trump. La décision politique telle que pensée, assumée et mise en place par M. Walsh, le maire de Boston de l’époque (il est devenu Secrétaire au Travail des États-Unis en mars 2021 appelé à occuper cette fonction par Joe Biden), est toujours le fruit de discussions, de concertations, de considérations, de compromis, d’échanges. Il s’agit donc pour Wiseman d’observer et de rendre compte de l’efficacité d’une politique pensée pour être au service des citoyens. Une politique à hauteur d’homme, une politique qui devient une cause commune dès lors que tout un chacun peut participer à son élaboration et à sa mise en place.
Le film se structure autour d’allers-retours incessant entre l’hôtel de ville de Boston, le siège de la police municipale et les espaces qui accueillent des débats citoyens dans tous les quartiers de la ville. On notera que Wiseman filme de manière identique l’ensemble de la cité. L’architecture des bâtiments officiels ou des immeubles d’habitation du Downtown se combinent avec les boutiques, les logements et les coins de rues des quartiers de Roxbury, Dorchester, Mattapan ou Hyde Park. La pensée politique du maire participe à la cartographie de la ville de Boston. Les vues de la ville et l’architecture se répondent, se complètent pour composer une iconographie dans laquelle se définie aussi l’âme de la ville. Car les murs témoignent de la diversité ethnique qui caractérise la ville de Boston. Cette diversité qui fait aussi l’Amérique et qui nous parle, mine de rien, de l’Occident dans son ensemble où le métissage, dans sa foisonnante richesse, s’invite naturellement. City Hall est à la fois un champ des possibles et une sorte de relevé sismique des soubresauts de notre monde. Le film complète donc l’admirable entreprise initiée par Wiseman depuis plusieurs décennies qui consiste à définir les contours des comportements à adopter afin de permettre à des groupes sociaux disparates de s’inscrire dans un projet ou un destin communs.
Crédit photographique : Copyright Météore Films