Splitscreen-review Image de Dernier souffle de Thierry Martin

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Dernier Souffle

Publié par - 3 mai 2022

Catégorie(s): Bande dessinée

Lorsque l’on s’intéresse à l’histoire de l’art, il est une leçon essentielle que l’on apprend vite : une œuvre est indissociable du contexte dans lequel elle est née. Il faut ajouter à cette condition l'état d’esprit de son créateur durant la conception de l’œuvre. Lorsque le dessinateur Thierry Martin entame ce qui deviendra le recueil intitulé Dernier Souffle, il éprouve le besoin de lâcher prise, d’improviser. Ce type d’exercice permet de révéler les influences de l’artiste libérées ainsi d’une réflexion parfois focalisée sur la recherche d’originalité. Ce qui démarre comme un défi personnel, publier un dessin par jour pendant deux cents jours, se transforme alors en un Western visuel sans texte qui relate une terrible quête de vengeance à travers un format particulier. Chaque page est un rectangle parfait et ne comporte qu’une seule image.

Tout comme l’artiste au départ, le lecteur ignore dans quoi il se lance lorsqu’il découvre la première page. Dans le cadre, une figure lointaine au large Stetson semble avancer dans une forêt morte, un fusil à la main. Tout un imaginaire s’éveille dans l’esprit du lecteur qui reste néanmoins intrigué face à ce cadre étrange. Souvent associé aux étendues désertiques ou aux vastes plaines, notre cow-boy anonyme ici, dans ces dessins en noir et blanc, semble plutôt avancer péniblement dans un monde enneigé où de gigantesques arbres aux branches acérées dominent. Il traverse, les dents serrées, une forêt hostile habitée par des meutes de loups affamés.

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Une fois arrivé dans une demeure isolée, il découvre un homme au regard fou qui tente de le tuer avant de s’enfuir. Robuste, le cow-boy survit mais découvre une autre victime qui a eu moins de chance. Un indien, sans conteste celui de ses souvenirs, un père adoptif qui l’a recueilli après une embuscade dans le désert où sa famille a péri. Le cow-boy a un objectif clair : retrouver l’assassin et appliquer la justice que lui dictent ces terres indomptées. Le récit nous éloigne, ponctuellement ici, d’un classicisme fordien pour nous rapprocher plutôt de Peckinpah et de la Horde Sauvage. Difficile également, au regard de l’espace enneigé, de ne pas songer aux Huit salopards de Tarantino. Le flot d’énergie artistique libéré par l’improvisation révèle l’importance du Western dans l’imaginaire de Thierry Martin.

Dès la couverture, une intention naît. Le recueil est enveloppé d’un carton noir où une ouverture circulaire révèle le cow-boy. Le lecteur se demande s’il observe à travers le canon d’un colt ou l’objectif d’un appareil photo. Ou peut-être est-ce une caméra. Martin termine après tout sa préface avec les mots “Bon visionnage”. Cette série d’images rectangulaires et solitaires, qui subliment la suprématie de la nature, la violence de l’action ou les expressions des acteurs du drame, fait défiler l’aventure comme un album photo ou un film mis en pause. Nul besoin de mots pour saisir le déroulé des événements et pour partager les émotions des protagonistes. L’ambiance même ne nécessite que deux couleurs pour être glaçante. L’adjonction du bleu dans l’édition en bichromie de l'œuvre ajoute encore aux nuances et au travail sur le clair-obscur, même s’il paraît dispensable. La formation de Thierry Martin au story-board se ressent et sert l’intention de narrer sans artifices littéraires. L’image a plus d’importance que le texte, une idée qui semble irriguer une certaine part de l’imaginaire américain dont s’est imprégné l’auteur.

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Néanmoins, la lutte pour la domination sur ces terres sauvages semble cacher quelque chose de plus grand. Le pistolero solitaire, archétype bien connu du Western, doit affronter la bande de criminels dirigée par un chef borgne et obèse aux airs d’ogre. Le héros doit vaincre le maître de ces bois obscurs pour accomplir sa quête après le décès de son père. On le sait, le western arpente le territoire du conte initiatique. Martin s’en souvient. La représentation d’un récit qui superpose les codes du Western et du conte permet ainsi d’outre-passer les barrières linguistiques pour atteindre l’universel de la plus simple et brutale des manières.

À travers son recueil, Thierry Martin expose ainsi un paradoxe qui traverse depuis toujours le monde de l’art. De nombreux artistes réfléchissent à de nouvelles manières de raconter, de présenter, d’exposer, dans une éternelle quête d’originalité. La réflexion rationnelle semble en toute logique le moyen d’arriver à un résultat recherché. Pourtant, ce Western muet sur lequel plane l’ombre de John Ford, fruit d’un long travail d'improvisation est des plus atypiques. Ce Dernier Souffle nous raconte une classique histoire de vengeance d’une façon, bien qu'inspirée d’autres œuvres, qui met en défaut les représentations ancrées dans l’esprit du lecteur d’un genre bien connu. Par sa connaissance du story-board, l’auteur concentre également le récit sur les actions et les expressions pures des personnages ainsi que leur place dans l’environnement. En définitive, les fondations de la mise en scène. Thierry Martin produit ainsi un récit qui rappelle, en souvenir du cinéma muet, qu’une image vaut mieux qu’un long discours.

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Crédit images : © Éditions Soleil, 2022 — Martin

 

 

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