Le monde d’hier, le quatrième long-métrage réalisé par Diastème, est sans doute le film de son auteur qui a été le mieux accueilli. Critiques positives, parfois même enthousiastes, et public majoritairement satisfait du projet. Il est vrai que la problématique principale qui singularise le travail de Diastème, son aptitude à faire surgir naturellement l’étrange dans le trivial, trouve ici un point d’équilibre que l’œuvre n’avait pas encore atteint.

Le monde d’hier se déroule principalement dans un espace intriguant et attractif en soi, le palais de la présidence française, l’Élysée. Le film se plaît à inventer une intrigue qui permet au spectateur de s’inviter dans des lieux qui lui sont habituellement interdits (bureaux, couloirs, parcs, véhicules, appartements privés) où s’exerce le pouvoir. Ici, l’Élysée devient le décor de la manifestation de l’intime de son occupant principal, la Présidente. Le palais est composé d’une suite d’espaces où les apparences publiques s’effacent pour que l’intime s’exprime loin des regards indiscrets.

Élisabeth de Raincy (Léa Drucker), Présidente de la République, arrive au terme de son mandat. Elle ne se représente pas pour des raisons que le film livrera explicitement ou à demi-mots au fil des séquences. Elle apprend par le secrétaire général de l’Élysée, Franck L’Herbier (Denis Podalydès), que son successeur programmé, Luc Gaucher (Francis Weber), va perdre l’élection au profit du candidat de l’extrême droite, François Willem (Thierry Godard).

Présenté ainsi, nous pourrions croire à une variation sur les arcanes du pouvoir comme le cinéma français en produit avec brio depuis quelques années. Mais Le monde d'hier bifurque très vite pour s’installer sur un territoire qui diffère de ce que nous réserve généralement ce type de films (contact entre le réel et la bulle où s’exerce le pouvoir, intrigues autour du fonctionnement du pouvoir exécutif, disparition de l’humain derrière la fonction, etc.). Ce serait même presque l’inverse ici.

C’est-à-dire que Le monde d’hier incite à voir comment la personnalité de chacun entre en interaction avec les lieux. Autrement dit, le film rend compte d’une expérience qui consiste à observer comment, derrière l’apparence de la fonction, l’humain est susceptible de surgir. L’espace filmique est progressivement contaminé par la subjectivité de la Présidente, par son passé ou par sa psychologie. La vie apparente de l’Élysée se transforme en univers étrange où ce qui est vu n’est plus ce qu’il paraît. Le film est d’ailleurs nocturne dans le sens où la majorité des péripéties qui font progresser le récit se déroulent de nuit. l’Élysée, c’est un peu un bois, une forêt. L’atmosphère y est calme et apaisée la plupart du temps en journée et change radicalement la nuit pour qu’une vie insoupçonnée s’y déroule.

La seule présence discrète mais systématique des huissiers soulève question. Car ils sont toujours là tout en étant absents. La nuit aussi. Enfin non, la nuit, ils sont présents, ils règnent sur les lieux. Leurs déplacements nocturnes les apparentent à des fantômes soudain pris en flagrant délit de déplacement. Ils se fondent dans le décor de jour et s’emparent des lieux la nuit pour se livrer alors à des activités mystérieuses et pourquoi pas inquiétantes. Ils sont les observateurs silencieux de la vie du palais. Ils voient tout, entendent tout et ils savent tout. Ils appartiennent au lieu, ils incarnent les esprits qui hantent les lieux depuis sa mise en fonction. Le monde d’hier pourrait être un conte. C’est d’ailleurs peut-être ainsi qu’il faut lire le film, comme une mise en image de ce qui se libère soudainement de l’inconscient de la Présidente, de son garde du corps et de son secrétaire.

Le monde d’hier fait, dès son titre, appel ou écho à ce qui n’est plus. Le spectral est donc au centre de toutes les représentations nocturnes des peurs, des craintes et surtout des doutes de la Présidente. L’Élysée devient ce que ce palais est au fond, un théâtre où se jouent différents actes d’une tragédie que l’on nomme pouvoir. Alors, le film devient une parabole. Le monde d’hier prétend parler de ce qui s’est joué par le passé alors qu’il ne fait qu’envisager le désastre à venir.

Crédit photographique : Copyright Pyramide Films