Faute d’amour (Nelyubov)
Publié par Stéphane Charrière - 20 septembre 2017
Faute d’amour (Nelyubov) marque le retour sur les écrans du rare et précieux Andreï Zviaguintsev. Avec 5 films à la fois différents et en même temps qui s’inscrivent dans un sillon artistique reconnaissable entre mille, le cinéaste russe s’impose à nouveau comme l’un des auteurs les plus brillants de sa génération.
Faute d’amour, présenté au Festival de Cannes en mai dernier, fit l’unanimité. La critique, française et internationale, s’accordait pour en faire l’un des favoris pour l’obtention d’un prix important. Nombreux pensent que le film méritait plus qu’un Prix du jury. D’autres, et nous sommes de ceux-là, considèrent que, si les lignes de palmarès sont importantes pour ancrer le film dans son temps, seul l’œuvre compte et que, in fine, le temps repositionnera Faute d'amour à la hauteur qui est sienne et permettra à tous de constater l’importance du travail réalisé par Zviaguintsev.
Comme souvent chez le cinéaste russe, la trame se développe selon des principes empruntés à la fable ou au conte, moral il va sans dire. Faute d’amour ne déroge pas à cette règle et, au-delà du regard porté sur l’implosion d’une cellule familiale russe, puisqu’il relève de la parabole, tend à interpeller l’universel. En effet, le film est le résultat d’un regard porté sur la désintégration d’un tissu social lorgnant sur des modèles occidentaux que l’on a tenté d’accorder à une culture qui, dans ses caractéristiques premières, ne peut s’en accoutumer spontanément. Un couple formé par Boris et Genia, appartenant à la classe moyenne russe, divorce. Rien que de très banal mais, si les deux protagonistes semblent désormais uniquement tournés vers le bien être que leur promet leur vie future, aucun des deux ne semble s’attarder sur un facteur sensible : l’existence d’Aliocha, leur fils de 12 ans qui ne fait partie d’aucune projection future que ce soit chez l’un ou chez l’autre. Jusqu’au jour où Aliocha disparaît.
L’un des tours de forces du film est d’avoir su éviter l’écueil du manichéisme. Les parents auraient pu être montrés comme des monstres. À contrario, Zviaguintsev les montre humains, avec leurs qualités, leurs défauts, leurs rêves, leurs aveuglements. Chez Zviaguintsev, point de calcul, point de projection, et là se situe d’ailleurs le seul tort de chacun, mais la volonté de s’inscrire dans une logique qui, en occultant l’autre, fut-il son enfant, produit une réaction en chaine qui devient incontrôlable. On louera justement, dans cette approche de l’humain, les scènes à connotations érotiques qui participent grandement à l’humanisation des personnages et, devant la sincérité des passions mises en lumière, génèrent une certaine forme d’empathie. Ce ne sont que des êtres simples qui ont des aspirations au fond légitimes et qui n’ont finalement pour seul désir profond que de concrétiser quelque envie, besoin ou aspiration à s’épanouir.
Autre qualité du film, cette aptitude à dresser le portrait en creux d’un pays par l’intermédiaire de sa middle class. Leviathan, précédent film de Zviaguintsev, élaborait déjà un paysage (topographique ou social) russe qui passait par l’idée de caricature au sens littéral du terme. C’est-à-dire, et c’est le cas dans Faute d’amour, que Zviaguintsev tisse un récit où s’expriment les désenchantements d’une société qui tente de se trouver une identité. Il suffit d’un plan, d’un regard, d’un mouvement de caméra et, en une fraction de seconde, Zviaguintsev permet au spectateur d’appréhender la vastitude et la complexité d’une idée, d’une pensée sur un espace ou un pays. Politique ? Oui forcément. Mais le politique n’est présent que de manière figurée. Le politique ne nous est révélé que par la douleur et cette incapacité qu’ont les personnages à rassasier leur exigence, leurs désirs.
Après avoir été catégorisé comme membre d’une filiation plus ou moins directe avec Tarkovski, Andrei Zviaguintsev trace sa route et poursuit son entreprise d’auscultation de ses obsessions. Que celles-ci rejoignent certainement les préoccupations de Tarkovski (avec ce film ce serait plutôt Bergman d’ailleurs), il ne faut pas occulter la singularité stylistique qui est la sienne. Osons prétendre que Zviaguintsev, au-delà de la figure de son glorieux ainé, s’inscrit dans une veine russe qui trouve ses repères culturels profonds dans le positionnement historique et civilisationnel de la Russie, entre Europe et Orient, à la croisée de deux univers géographiques ou artistiques, dans un espace qui s’accommode par nature du littéral et du figuré. Pour notre plus grand plaisir, maturité aidant, Zviaguintsev édifie une œuvre qui, de films en films, tient autant d’une virtuosité artistique qu’elle relève de la démonstration scientifique. Faute d’amour en est une nouvelle et splendide preuve.
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