Splitscreen-review Image de Nos Soleils de Carla Simon

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Nos Soleils

Publié par - 21 juin 2023

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

C’est avec avidité que nous accueillons la sortie en vidéo de Nos Soleils, le second long-métrage de la réalisatrice catalane Carla Simón. Le film, sorti en salle en janvier, était précédé d’une réputation acquise au Festival de Berlin 2022 où Nos soleils a remporté l’Ours d’Or du meilleur film. Hélas, malgré une réception critique flatteuse, Nos soleils n’a pas, en janvier dernier, obtenu le succès public qu’il aurait mérité. Aussi profitons-nous de la « séance de rattrapage » que nous autorise l’édition Blu-ray de Pyramide Vidéo afin d’en évoquer quelques qualités.

Nos soleils repose sur des problématiques gigognes qui offrent au scénario des péripéties qui touchent à l’étude de cas, donc à l’universalité. Au centre du propos, deux problématiques principales : le rapport de l’humain à la terre et les liens familiaux. La famille Solé cultive depuis la fin de la guerre civile des terres qui ne lui appartiennent pas. Le grand-père Solé a sauvé un homme, un nommé Pinyol, qui, verbalement, lui a donné des terrains devenus d’immenses vergers. Mais les conjonctures agricoles ne sont pas bonnes et les prix fixés par la grande distribution étouffent les cultivateurs. Devant cette incertitude économique liée aux réalités de notre temps, certains font le choix de stopper ce type d’activité pour envisager des opportunités plus rémunératrices. C’est le cas de Joaquim Pinyol, le fils de l’homme sauvé par le grand-père Solé, qui décide de reprendre les terres qui lui appartiennent pour les transformer en parc de panneaux photovoltaïques.

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Devant cette adversité nouvelle, l’équilibre de la famille Solé vole en éclats. Les tensions mises sous cloche jusqu’ici parasitent les relations intergénérationnelles. Si le film évoque lointainement la possibilité d’une autre agriculture plus respectueuse de l’environnement et plus propice à reconstruire un lien qui semble distendu entre l’humain et la terre qui le nourrit, ce n’est pas le propos primordial de la cinéaste. Difficile toutefois de ne pas songer à une approche du travail agricole qui nécessiterait un accompagnement logistique que les cultivateurs du film sont loin d’obtenir. Là se situe, dans l’implicite, la réflexion politique de Carla Simón. Les sentiments d’abandon et de trahison qui envahissent Quimet Solé, le responsable de l’exploitation agricole, contaminent l’espace familial. Il en résulte des transformations comportementales qui touchent tous les membres de la famille et qui teintent Nos soleils d’une irrépressible mélancolie. Le mal-être, à n’en pas douter, était là, sous-jacent, depuis longtemps, mais la brutalité de la situation vécue par les Solé accélère et amplifie la révélation des maux.

Une équation improbable est au centre des préoccupations quotidiennes de chacun : avec quelle activité professionnelle sera-t-il possible de vivre une fois que les terrains auront été récupérés par Pinyol ? Mais derrière cette question se cache une autre interrogation tout aussi importante pour les Solé. Car le travail de la terre et l’exploitation des vergers est aussi et avant tout le socle identitaire de chacune et de chacun. Au-delà donc de la problématique, cruciale aujourd’hui, du sens donné à la production agricole dans son ensemble, Nos soleils soulève aussi la question de ce qui fait sens commun dans une cellule familiale.

Comment en effet se redéfinir en dehors de la dynamique liée au travail de la terre qui avait, jusqu’à présent, fixé des objectifs acceptés, à défaut d’avoir été choisis, par toutes et tous ? La mise en scène retranscrit, sous l’angle de la chronique, les soubresauts d’histoires individuelles qui racontent quelque chose qui nous concerne tous.

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Pour filmer ces changements, internes comme externes, Carla Simón a recours à des principes empruntés au documentaire comme l’usage d’une caméra portée à l’épaule. Saisir des gestes, des attitudes, des regards pour raconter ce qui relève de l’indicible. Le dispositif formel coïncide avec le choix des comédiens, tous recrutés dans la région du tournage, pour apporter du crédit aux liens qui unissent les individus à la terre.

Tous, pour vivre en milieu rural (le travail avec les comédiens en amont du tournage en atteste) savent, dans la réalité, ce que représente la perte de terrains sous la contrainte d’enjeux économiques abstraits. Car au-delà d’une esthétique, la caméra portée, dans ses tremblements, peut également se faire l’écho des doutes, des craintes et des souffrances émotionnelles. L’image dit aussi, par extrapolation, l’excitation qui règne chez les enfants qui inventent des jeux qui ne sont que la traduction imagée de ce qui se trame dans l’histoire familiale et communautaire.

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La scène d’ouverture en témoigne : trois enfants (Iris, Pau et Pere) jouent dans une voiture abandonnée au milieu d’un champ. Ils s’imaginent être dans un vaisseau spatial et partir à la conquête de nouveaux univers, de mondes inconnus. Soudain, le réel s’invite dans le jeu pour en redéfinir les règles. La voix d’un adulte, hors champ pour mieux l’associer aux contingences abstraites des réalités contemporaines et rendre l’ennemi indéfinissable, les somme de quitter le véhicule. Effrayés, les enfants s’enfuient retrouver Mariona, la grande sœur d’Iris et la cousine des deux garçons. Lorsque les quatre protagonistes reviennent vers le terrain de jeu initial, ils constatent, sans voix, que la voiture est soulevée par une pelleteuse pour être enlevée du champ. Littéralement, la voiture s’envole. Elle rejoint ainsi l’idée du jeu, le vaisseau spatial, et incarne en même temps la fin d’un temps (insouciance et existence dans un microcosme protecteur) et la dépossession d’un territoire (arrachement à la terre nourricière). L’enfance sera, on s’en doute alors, le reflet des dommages subis par la famille Solé.

D’autres scènes font écho à la disparition de l’exploitation agricole des Solé condamnée à devenir un vaste champ de panneaux solaires. L’espace accordé aux Solé s’amoindrit. Les enfants en sont réduits à organiser des jeux au milieu des travaux de ramassage des fruits. Victimes également, les enfants gênent, empiètent sur un terrain, celui du travail agricole, où leurs habitudes n’ont pas lieu d’être. Les cabanes sont éphémères car il faut optimiser le rendement, une obsession d’adulte qui assombrit le quotidien des enfants. Et puis un autre jeu, filmé comme ça, l’air de rien, traduit un état d’esprit. Les enfants jouent à la guerre. Dans la logique du jeu, ils cherchent à se protéger et ils trouvent refuge dans un espace troglodyte (métaphore à peine déguisée de la ferme des Solé). Le jeu, c’est la liberté, la possibilité de laisser l’imaginaire faire son œuvre afin de vivre des expériences qui aident au développement identitaire. Et puis ce jeu de rôle-là contient en soi une manière d’exprimer la problématique rencontrée par la famille Solé : l’ennemi, dans la vie réelle comme dans le jeu, est invisible, et les murs de la grotte comme ceux de la ferme constituent, en apparence seulement, un abri impénétrable.

Il est trop tard. On ne peut arrêter la marche du temps. Fuir le réel est désormais impossible. Quimet les retrouve et leur ordonne de revenir vers la ferme. Définitivement, les adultes s’imposent dans le monde enfantin. Ils y introduisent leurs problèmes, leurs logiques et même une réalité qui échappe à tous. C’est là tout l’art de Carla Simón : être en mesure de filmer avec simplicité et sincérité, donc avec justesse, les incidences du monde sur l’individu et ce, quel que soit l’âge de ce dernier.

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Crédit photographique : Copyright Pyramide Vidéo

Suppléments :
La Genèse de « Nos soleils » (67’)
Court métrage : « Correspondencia » de Carla Simón et Dominga Sotomayor (2020, 20’)

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