Splitscreen-review Image de The Wastetown d'Ahmad Bahrami

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The Wastetown

Publié par - 1 août 2023

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Découvert à Venise avec un film remarquable, The Wasteland (sortie prévue le 6 septembre prochain), le cinéaste iranien Ahmad Bahrami bénéficie pour The Wastetown d’une distribution estivale qui, nous l’espérons, lui permettra de s’inscrire durablement dans l’esprit cinéphilique. The Wastetown, à l’affiche le 2 août 2023 donc, s’inscrit dans une trilogie composée de The Wasteland et d’un troisième film déjà tourné et en cours de finalisation. The Wasteland (nous reviendrons plus longuement dessus à l’occasion de sa sortie à la rentrée) et The Wastetown se complètent. Les deux films dialoguent, se répondent et proposent une réflexion orchestrée autour de personnages propulsés dans des environnements qui traduisent un état de finitude globale. Les individus filmés se débattent pour survivre dans des espaces inhospitaliers qui sont autant la figuration d’un état d’âme que l’évocation d’un état du monde et de l’Iran en particulier.

The Wastetown s’ouvre sur l’arrivée de Bemani (Baran Kosari), une femme accablée par l’existence, dans une casse automobile située quelque part en Iran. La jeune femme espère y retrouver son beau-frère Ebi (Ali Bagheri) afin que celui-ci la renseigne sur l’endroit où se trouve le jeune fils que Bemani a été contrainte d’abandonner lorsqu’elle fut condamnée à 10 ans de prison pour le meurtre de son époux.

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The Wastetown reprend le processus formel qui fut adopté pour The Wasteland tourné 2 ans plus tôt. Tout concourt à la représentation d’un univers construit sur un principe d’oppositions. Par exemple, la casse automobile, décor unique du film, se charge d’une matérialité réaliste (incarnation du concret, du littéral) tout en étant la manifestation abstraite d’un paysage de l’âme chargé de différentes symboliques (l’immatériel, le figuré). De la même manière, The Wastetown, au fil des séquences, décrit un univers filmique où se rejoignent et s’interpolent des figures géométriques contradictoires. Ainsi, au format presque carré de l’image (1.33 : 1) répondent les figures circulaires du récit et des mouvements de caméra.

Les formes qui architecturent le film, le quadrilatère et la sphère, sont l’expression d’un enfermement ou plutôt d’une claustration partagée par tous les protagonistes qui se répercute sur la dramaturgie. Les mouvements de caméra, effectués selon une logique et une rythmique singulière (le temps est également un matériau qui sert la mise en scène), ajoutent à l’impression de perméabilité spatiale qui émane de la construction scénique : la caméra ne cesse, lors de longs travellings, de raccorder l’intimité des personnages à un univers contaminé par l’extériorisation d’un mal-être commun. Les répétitions narratives et formelles énoncent, d’une certaine manière, la force de l’inéluctable qui œuvre à détruire les dernières traces d’humanité qui peuplent encore le paysage. Il en résulte une atmosphère gagnée par une mélancolie sourde et irrépressible qui s’empare du propos filmique donc du spectateur.

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Ces dispositifs cinématographiques (format image, noir et blanc, travellings, durée des plans, etc.) participent également à la définition d’une stylistique remarquable. Pour définir les limites du champ expressif qui est le sien, Ahmad Bahrami n’hésite pas à adopter des principes qui empruntent quelques caractéristiques propres à la miniature persane. À l’origine, la miniature était un phénomène purement illustratif. Au fil des siècles, les miniatures se transforment pour inviter le lecteur à des voyages spirituels et/ou intellectuels. La miniature devient une idéalisation. Elle s’associe alors aux mots pour en devenir un complément puis, très vite, un prolongement qui colmate les vides laissés vacants par le texte.

Ce rapport de l’implicite à l’explicite ou du dicible à l’indicible se retrouve dans The Wastetown dans l’utilisation qui est faite des travellings. Avant que les mouvements d’appareil ne se développent, les cadrages insistent sur la présence du tellurique, sur la matérialité de ce qui constitue le décor. Puis, la caméra suit des trajectoires qui, systématiquement, relient l’environnement aux protagonistes et réciproquement. Il s’agit là d’établir un lien physique entre les personnages du film et des objets (des carcasses de voitures principalement), des abris de fortune (les lieux où séjournent les personnages en dehors de leur temps de travail) ou des éléments qui supportent l’existence de cet univers filmique. Le décor, là où commencent et où finissent les plans, est une ponctuation. Le décor est un ensemble de signes qui soulignent les différentes connexions (physiques, syntaxiques) qui agissent sur notre perception du film. Le cinéaste élabore donc une stylistique qui s’articule autour de principes déambulatoires. Lorsque la caméra se déplace, c’est aussi le regard du spectateur qui navigue. Il est donc donné au public la possibilité de regarder et de voir, de relier ou de dissocier les choses et, surtout, il lui est demandé de créer des harmoniques entre ce qui est tangible et ce qui est évanescent mais non moins riche de sens.

En se réappropriant les fondamentaux de la grammaire filmique, il nous apparaît évident que Ahmad Bahrami, après le visionnage de deux films seulement, vient s’ajouter à la longue liste des cinéastes iraniens qui ne cessent de nous étonner par leur aptitude à imaginer de nouveaux truismes pour questionner la nature profonde du cinéma et ses propriétés représentatives. Car, à l’évidence, avec The Wastetown, ce qui se vérifie aussi avec The Wasteland, Ahmad Bahrami nous propose d’inventorier de nouvelles combinaisons grammaticales capables d’enrichir le langage cinématographique. Rien que ça.

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Crédit photographique : Copyright Mimrad

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