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Twin Peaks : the return
Publié par Pierre Raphaël - 25 septembre 2017
Catégorie(s): Séries TV / V.O.D.
Nous avons quitté Twin Peaks, la ville et ses personnages, juste après le film Fire Walk With Me en 1992. La réception du film de David Lynch fut très mitigée à l’époque. Le public du festival de Cannes hua même la fin de sa projection, reprochant à Lynch un film incompréhensible, très loin de l’univers de la série et dénué d’humour.
Fire Walk With Me plaçait au centre de son récit le drame vécu par Laura Palmer, donnant à l’actrice Sheryl Lee l’occasion d’exprimer, avec plus d’évidence encore, son immense talent.
Traumatisée par les abus incestueux de son père possédé, perdue, psychologiquement détruite, Laura Palmer dans Fire Walk With Me, ouvrait la porte d’une nouvelle dimension de la saga Twin Peaks, insoupçonnée jusque-là. Lynch, se jouant bien de nous, fit de son film la clé pour appréhender Twin Peaks et sa mythologie. Les enquêtes « Blue Rose », les pages manquantes du journal de Laura, le rôle de l’électricité comme une force malveillante, la bague émeraude, mais plus important encore, la rencontre fantomatique de Phillip Jeffries et l’existence d’une certaine Judy. Tout cela était déjà présent en 1992, quelques 25 années avant de replonger dans cet univers mythique et atemporel.
« I’ll see you in 25 years, meanwhile »
A la fin de la saison 2, Laura, bloquée à l’intérieur de la Black Lodge prononçait cette phrase lourde de sens : « I’ll see you in 25 years, meanwhile ». « Entre temps », il s’en est passé des choses à Twin Peaks et en dehors. La série est devenue un mythe de la pop culture, elle a influencé des générations entières de cinéastes, d’artistes et de musiciens. Son empreinte est gigantesque. Les spectateurs qui ont découvert la série au moment de sa diffusion, se sont languis de pouvoir retrouver ce vieux chewing gum qu’ils aimaient tant. Mais visuellement l’emballage est-il le même ? Qu’en est-il de sa saveur ? Et de notre souvenir ?
Le premier changement arrive lors du générique, exit la scierie Packard qui faisait la fierté de la ville. L’ouverture se fait dans une épaisse brume où nous ne distinguons rien. Sauf petit à petit, très légèrement, le visage encore jeune et immortalisé de Laura Palmer, ses yeux, son sourire. En un plan tout est dit.
Nos souvenirs sont aussi épais que ce brouillard. Il n’y a plus rien à voir, sauf le fantôme de Laura qui ne cesse de nous hanter depuis toutes ces années. Puis le brouillard se dissipe et la musique d’Angelo Badalamenti démarre. Les plans aériens de la forêt ne sont pas sans nous rappeler l’ouverture de The Shining. Quel est donc cet esprit qui survole ces paysages ? Bob ? Ou Cooper qui essaye de revenir, tant bien que mal, là où tout a commencé ? A moins qu’il ne s’agisse de David Lynch qui, en démiurge, revisite sa création ? La cascade déverse un flot d’eau qui se transforme en un grand rideau de velours rouge, celui de la Black Lodge. Le passage se liquéfie pour nous faire entrer dans l’onirisme le plus pur. Le bleu devient rouge, l’eau devient velours et ce nouveau générique prend des allures d’ouverture d’un précédent film de David Lynch, Blue Velvet.
Twin Peaks : The Return ne cesse de dialoguer avec l’œuvre entière de Lynch. Cette saison 3 éclaire, explore ses obsessions et apporte échos et rimes à des scènes d’autres films, reliant l’intégralité de son œuvre. Nous avions été nombreux à émettre un mouvement de recul à la vision de ce clochard menaçant dans Mulholland Drive. Personnage qui revient à notre mémoire lorsque son clone, calciné et terrifiant, hypnotise dans l’épisode 8 de Twin Peaks les habitants via les ondes radio dans le but de leur faire ingérer un mal terrible et incurable. Mais lequel ?
« Entre temps », Lynch tourne en 16:9. Exit le 4:3 des deux premières saisons qui nous ramenait forcément, avec une certaine nostalgie, à la série télé originelle. Lynch renforce sa volonté de faire de cette nouvelle saison un grand film de dix-huit heures. Et comme le format s’élargit, les limites de la ville aussi. Nous voyageons entre New York, Las Vegas, Odessa…
« Entre temps », le mauvais Cooper sorti de la Black Lodge a eu le temps de parcourir le continent et de se laisser pousser les cheveux, à l’image de Bob. Le shérif Truman est tombé gravement malade et est désormais remplacé par son frère. Sheryl a eu une fille qui revit les mêmes traumatismes sentimentaux que sa mère. Bobby est devenu agent de police (qui l’eut cru !). Le docteur Jacoby est désormais Dr. Amp, un youtubeur conspirationniste (à moins qu’il ne dise que la vérité). Jerry Horn fume beaucoup d’herbe. Le Double R diner s’est converti en franchise et sa « cherry pie » en bestseller. Comme le dit Janey-E Jones (Naomi Watts), le personnage le plus terrestre de ce retour : « We are living in a dark, dark age. » Rien ne va plus, comme si chaque personnage perdait peu à peu la raison.
Il n’est pourtant pas question de politique ici ou bien d’une description des États-Unis post Donald Trump, mais juste une immersion dans un monde à la dérive, terrain de la lutte ancestrale du Bien contre le Mal, où Twin Peaks a depuis toujours été un terrain privilégié de cette lutte. La ville est cette fois utilisée au titre d’appareil de mesure. Twin Peaks est une Balance située entre ces deux montagnes, entre la Black et la White Lodge… et à en voir l’état mental de certains de ces habitants, on se doute bien de quel côté elle penche.
Les mystères entourant tous les habitants n’ont fait que s’épaissir, créant notre infini émerveillement. Les faux raccords intentionnels se multiplient lors de discussions anodines, les distorsions de l’image se font nombreuses, éveillant notre curiosité. Chaque apparition d’anciens personnages attise notre désir et notre curiosité : comment ont-ils évolués, qu’ont-ils traversés et, par résonance, que sommes-nous devenus ?
« We’re like the dreamer, who dreams and lives inside the dream »
Nombreuses interprétations de Twin Peaks : The Return ont fleuri sur la toile après la diffusion du dernier épisode. Pour beaucoup, tout ce qui nous a été donné à voir ne peut-être que le rêve de Dale Cooper, rêvant de ce qui lui arrive depuis la Black Lodge.
La finalité est plus complexe, il y a beaucoup de rêveurs dans Twin Peaks : The Return. Le rêve, il est vrai, à une place centrale dans le déroulement de l’histoire, tout comme dans l’univers de David Lynch, depuis son premier film, Eraserhead. La suite de sa filmographie n’a cessé de jouer entre projections mentales, rêves et schizophrénie. C’est le somptueux mais troublant Lost Highway qui confirma la signature photographique du rêve chez Lynch : la couleur rouge. La même signature utilisée, avant lui, par Stanley Kubrick, toujours dans The Shining.
Mais qui rêve dans Twin Peaks : The Return ? Monica Bellucci questionne, en rêve bien sûr, Gordon Cole : « Who is the dreamer? » L’agent du FBI, Dale Cooper, apporte une réponse. Dale Cooper est un personnage libre, un atome qui voyage à travers plusieurs états de l’être et de temps. Le rêve, la réalité, la fiction, le passé, le futur. Il évolue au travers de ces dimensions, comme s’il traversait plusieurs stades de conscience. Il devient double, triple, quadruple. Dale Cooper sait tout ou ne sait plus rien, il est bon ou mauvais, finalement un peu des deux.Alors à la question de Monica Bellucci, la réponse de Cooper arrive à la fin de la série par une audacieuse surimpression, livrant son âme, sa transparence, son opacité. « We live inside a dream » prononce-t-il difficilement, comme venu d’un lointain conscient. Le regard face caméra, Cooper nous voit, nous ramenant alors à notre condition de spectateur. Des spectateurs actifs qui prennent part au rêve de Lynch mais des rêveurs aussi.
Cette capacité narrative et filmique, employée avec un jeu d’acteur digne des plus grands, James Stewart pour ne citer que lui, fait de cette scène un des nombreux temps forts de la série. Dale Cooper transcende son statut fictif et atteint ici, le panthéon des plus beaux personnages de l’histoire du cinéma.
« Quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre » intertitre de la copie française de Nosferatu
Dale et Diane sont en voiture, ils s’arrêtent précisément au miles 430. Ils sont sur le point de franchir la frontière qui nous sépare d’une autre dimension, une autre temporalité, un autre rêve. « Kiss me » dit-il, « Once we cross, it could all be different ». Et par un subtil effet de montage et de sound design les voici dans un autre monde. Là, ils ne sont plus ni Dale, ni Diane, mais part intégrante de l’histoire du cinéma, un couple à l’image de Scottie et Madeleine.
Comme irradié par les essais nucléaires à White Sands en 1945, le montage n’a de cesse de créer ce type de passages temporels, d’anomalies dans le déroulement de la structure narrative. Il envoie ainsi les personnages dans des lieux et des dimensions que ceux-ci ne maitrisent pas, leur faisant parfois perdre la mémoire. Les clochards calcinés sont la preuve de ce montage contaminé, explosé, atomisé par la bombe. Ils naviguent comme un rewind ou un forward, se plaçant où ils le veulent, tel le monteur assemblant cette histoire décousue de fantômes qui tentent de traverser le pont, afin de rentrer chez eux.
Twin Peaks: The Return est une œuvre hors du commun. Surement ce que David Lynch a fait de plus grand. Ils sont nombreux les moments, dans chaque épisode, où l’émotion nous submerge, prenant le pas sur notre réalité.
Dans l’épisode 15, Margaret, la femme à la buche, personnage ultra symbolique de Twin Peaks, dit : « I’m dying. You know about death, that it’s just a change, not an end. » Ici, la frontière entre fiction et réalité s’efface pour de bon, Lynch filme presque en direct la mort de son personnage le plus mystique et la mort de son actrice. Il laisse ses spectateurs bouleversés à tout jamais. Pourtant, il nous le promet, la mort est juste un changement, pas la fin.
Crédit photographique : Copyright Suzanne Tenner/SHOWTIME