Splitscreen-review Image de Main basse sur la ville de Francesco Rosi

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Main basse sur la ville

Publié par - 17 février 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

À l’occasion de la très belle édition de Salvatore Giuliano dans la collection Make my day de Studio Canal, nous avions évoqué quelques principes qui régissent l’art de la mise en scène chez Francesco Rosi. Alors que son quatrième long-métrage, Main basse sur la ville, bénéficie à son tour d’une édition remarquable chez Rimini Éditions (qualité de l’image et bonus passionnants), il n’est sans doute pas inopportun de revenir sur les contours de la singularité cinématographique de l’œuvre. Car Main basse sur la ville nous permet d’arpenter d’autres territoires que ceux visités par Salvatore Giuliano. Se rappeler déjà que Rosi, de la même manière que son contemporain Pietro Germi, même si les deux cinéastes affichent des qualités différentes, est un cinéaste à la notable intransigeance morale dès lors qu’il est question, et son cinéma s’en fera systématiquement l’écho, d’approcher sous un angle politique et critique les réalités de la société italienne des années 1960 jusqu’aux années 1990.

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L’essentiel du travail de Rosi consiste à éprouver et à mesurer ce qui relie l’individu à une communauté, à une population par ses choix, par ses décisions et par ses actes. De ce strict point de vue, Rosi s’affirme déjà comme un cinéaste politique. Ce qui intéresse Rosi, c’est d’observer le réel et de le questionner pour comprendre ce qui en fait la substance. Toujours partir du réel pour faire œuvre filmique, donc. Une règle qui se vérifie de film en film tant dans le propos que sur la forme. Car il faut, pour respecter l’engagement citoyen qui est celui de Rosi, débusquer ce que le réel dissimule, il faut comprendre les corollaires qui découlent de toute forme de connivence, révéler toutes les compromissions et ainsi rétablir une forme de discours où tous les liens de causalités des faits sont exposés.

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Le cinéma de Rosi est donc à considérer comme un acte civique. Main basse sur la ville part d’un constat social dénoncé par un fait divers survenu à Naples : l’effondrement d’un immeuble lié à la mise en chantier d’un programme immobilier voisin. Ce point de départ, nous l’avons dit, définit un style et structure un propos. Et dans la construction du récit, Rosi convoque un procédé qui a fait ses preuves dès lors qu’il s’agit d’inviter à la réflexion, la dialectique.

Terme qu’il faut entendre ici de plusieurs manières. Pour Rosi, esthétique et éthique sont indissociables. Ainsi, l’image du film emprunte quelques principes néo-réalistes que le cinéaste a côtoyés de près (Rosi fut l’un des collaborateurs de Visconti sur, entre autres, La terre tremble en 1948 ou sur Bellissima en 1951) tout en assumant une certaine théâtralisation des débats lorsqu’il s’agit d’imaginer ou de reconstituer ce qui échappe au champ public. L’application de ces principes traduit une approche philosophique de la pratique du cinéma. L’interpolation de séquences de différentes natures a pour fonction de créer une dynamique visuelle qui repose sur l’adjonction des contraires afin de contraindre le spectateur à envisager les faits sous un angle nouveau.

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Impossible ici de dissocier le contenu de la forme car le narratif de Main basse sur la ville repose sur une esthétique qui relève d’une dialectique de la représentation (tournage qui dans sa nature emprunte au documentaire et qui induit des scènes imaginées donc reconstituées selon les analyses du réel formulées par le cinéaste).

Comme en témoigne l’ouverture du film, partir du réel, du tangible selon une esthétique néo-réaliste pour parvenir de manière plus artificielle à matérialiser différentes hypothèses qui expliqueraient certaines décisions politiques donc sociales, se rapproche de la volonté de passer du sensible à l’intelligible. Main basse sur la ville est donc à envisager comme une somme de documents livrés au spectateur afin que ce dernier révise sa position vis-à-vis du réel.

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Le film s’ouvre sur deux séquences pré-générique qui se répondent : la première porte une ambiguïté qui sera vite levée par le récit mais elle soulève déjà quelques questions sur les interactions entre le politique et le monde des affaires. Des individus discutent, face à une banlieue en pleine expansion, du coût et donc du gain potentiel du terrain sur lequel ils se trouvent. L’un d’entre eux, Nottola (Rod Steiger) est un entrepreneur, un promoteur immobilier. Les autres, nous l’apprendrons plus tard, sont membres du conseil municipal de la ville de Naples. Nous apprendrons également que Nottola l’est également. Le trouble est là, dans le conflit d’intérêt que suppose le cumul des fonctions du personnage. D’autant que le discours de Nottola est sans ambiguïté : l’achat de ce terrain classé en zone agricole est une affaire car pour l’instant il ne vaut pas grand-chose. Mais, une fois que la municipalité aura effectué tous les travaux d’aménagements (routes, électricité, gaz, eau, etc.) le prix sera multiplié par 1000. Et Nottola d’ajouter que cela ne dépend que d’eux.

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S’en suit, dans la seconde séquence, une réunion avec ministre et officiels de la ville de Naples qui actent la mise à disposition de fonds pour effectuer les travaux d’aménagement souhaités. Nottola et ses partenaires politiques s’enrichissent à moindre coût. Ils apparaissent comme les maîtres de la cité soit parce qu’ils l’observent de loin, guettant la moindre opportunité d’en tirer profit, soit parce qu’ils la dominent de manière schématique dans les rapports de masses qui composent les cadres (personnages au premier plan et la ville au second, personnages devant un plan de la cité, personnages surplombant la ville reproduite en maquette ou encore le bureau de Nottola situé au sommet d’un immeuble qui se dresse au-dessus d’un quartier du centre-ville).

Rosi le déclarait ouvertement, le contexte prime sur les personnages. Ainsi, ce ne sont pas Nottola et ses comparses que Main basse sur la ville condamne mais plutôt ce qu’ils incarnent dans un dispositif où l’individu public fuit les obligations que lui impose sa fonction pour satisfaire son propre intérêt. Main basse sur la ville apparaît donc comme un film qui s’attache à démontrer les compromissions financières qui gangrènent la classe politique et les classes dominantes au niveau local et, par extension, au niveau national voire international.

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Crédit Image : 1963 Le mani sulla citta | Galatea Film, Societé Cinématographique Lyre

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