La jeune femme à l'aiguille
Publié par Birgit Beumers - 25 mai 2024
Catégorie(s): Cinéma, Critiques, Expositions / Festivals
La Jeune Femme à l'aiguille, troisième film du réalisateur suédo-polonais Magnus von Horn à avoir les honneurs d’une sélection cannoise, lui permet cette fois d’accéder à la compétition. Horn a étudié à l’école du cinéma de Łódź et son premier film fut retenu à la Quinzaine des Réalisateurs en 2015. Le deuxième film, Sweat, fut sélectionné pour le festival en 2020 mais, hélas, la manifestation fut annulée en raison de la pandémie liée au Covid.
L’action se déroule après la Première Guerre mondiale et l’histoire s’appuie sur des évènements réels. Pour restituer l’atmosphère de l’époque, von Horn et son directeur de la photographie, Michal Dymak, ont fait des choix radicaux : noir-et-blanc et ratio images 3:2.
Karoline (Vic Carmen Sonne, vue dans Godland de Hlynur Palmason) doit quitter son appartement parce qu’elle ne peut prouver la mort de son mari, Peter, qui a disparu pendant la guerre. Elle trouve un autre logement et commence à travailler dans l’usine de confection d’uniformes de Jorgen. Bientôt Jorgen et Karoline deviennent amants. Karoline tombe enceinte et Jorgen souhaite l’épouser mais sa mère s’oppose au mariage. Jorgen abandonne Karoline et cette dernière, sans support médical ou social, envisage d’avorter dans les bains publics avec l’aide d’une aiguille.
Les aiguilles balisent la vie de la jeune femme : Karoline les casse en fabriquant des uniformes et elle en utilise pour tricoter. Après la tentative d’avortement, les aiguilles vont prendre une signification métaphorique quand Karoline devient dépendante à la morphine. L’avortement échoue et Karoline doit se résoudre à accepter l’offre de Dagmar (Tryne Dyrholm) : elle abandonne l’enfant afin qu’il soit adopté. C’est en tout cas ce qu’elle pense mais le destin en décide autrement. Contre toute attente, son mari a survécu et revient de la guerre. Désormais défiguré, ce dernier se dissocie d’une sphère sociale « normale ».
Karoline entre au service de Dagmar comme nourrisse. Cette dernière offre de s’occuper de l’adoption (illégale) du bébé. Mais, en fait, Dagmar tue les nouveaux nés. Dagmar elle-même a une fille qui n’est pas la sienne : Erena. Quand les meurtres de Dagmar sont découverts, on lui intente un procès. Le personnage de Dagmar comporte son lot de contradictions et d’ambiguïtés : elle tue des enfants et, en même temps, elle assiste les femmes démunies qui ne parviennent pas à avorter et pour lesquelles un enfant devient un fardeau. Ces questions, bien sûr, ont une résonance actuelle puisqu’elles s’inscrivent dans un contexte où les lois sur l’avortement sont remises en cause sous toutes les latitudes. Au regard de son sujet, le film est bien évidemment un drame sur la violence en temps de guerre mais il est aussi et peut-être surtout un film sur les droits de la femme. L’histoire semble se répéter, elle balbutie car selon les deux options thématiques évoquées ici peu de choses ont réellement changé depuis le début du XXème siècle.
À ce titre, Von Horn soulève des questions contemporaines et, en même temps, utilise une esthétique noir-et-blanc, qui inscrit le film dans le temps de sa dramaturgie, celui des débuts du cinéma. Cette stylistique primitive convoque les origines de l’art cinématographique et lui permet, dans le développement de son récit, de s’inscrire dans le temps qui est le nôtre. Les guerres et leurs conséquences servent la dramaturgie. Cela permet au cinéaste d’observer la violence sous différentes formes sans négliger celle produite par des circonstances sociales. Ce que le film décrit, c’est une vaste répétition des événements violents : guerre, faits de société, désirs individuels, autant de marqueurs d’une condition humaine condamnée à revivre ses propres traumatismes.
Crédit photographique : Copyright Lukasz Bak