Splitscreen-review IMage de Arizona Dream d'Emir Kusturica

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Arizona dream

Publié par - 12 juillet 2024

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Sorti 2 ans avant le palmé Underground et déjà marqué par le goût cosmopolite du réalisateur, Arizona Dream apparaît comme une intéressante et approfondie quintessence de la subjectivité de Kusturica, et ce au travers d'une mise en scène de l'Amérique de la désillusion et du "non-retour" entrecoupé par le rêve et le cauchemar, réel et irréel. Axel, jeune pêcheur assez porté sur l'existentialisme écologique, se rend chez son oncle, patron d'une entreprise de vente automobile, sur le point de fêter ses fiançailles avec une femme de 30 ans sa cadette. Au tableau s'ajoute une mère et sa fille dont Axel sera l'objet des désirs, angoisses et frustrations, et son ami, acteur autoproclamé dont la réussite reste à attendre. Et puisque nous sommes dans un film de Kusturica, pourquoi ne pas y ajouter la mystique du folklore musical balkanique et un rêve où un poisson inuit animé en 3D traverse les States de ses nageoires ? Rafraîchissant cocktail dont les ingrédients forcent un étonnement admiratif. Le mélange, sans conteste, traduit une unicité de point de vue et d'approche, dont l'Amérique ressort non pas sans quelques lésions.

Splitscreen-review IMage de Arizona Dream d'Emir Kusturica

Kusturica prend à rebours le rêve américain, et ce en épuisant le rapport des personnages en duels destructeurs et dévoyés. L'idéal n'est plus celui d'une réussite, d’un accomplissement personnel financier et social, du self-made man aux mains pleines du cambouis de ses voitures. La maison, son jardin et sa piscine sont l'incarnation de cette ambition, mais vide, dénuée de présence. L'oncle d'Axel déambule, pur produit de son propre rêve, homme "accompli" et maintenant dépourvu d'horizons. Un rêve devenu réel n'est plus un rêve, et la réalité porte son poids de temps et de doutes. Axel, à l'inverse, devient une image nouvelle, à rebours du reste de l'Amérique, mais que Kusturica saisit comme une idée neuve. Son aspiration à une forme de liberté et d'indépendance absolue n'est pas sans rappeler ce que Woodstock a pu incarner de contestation au système. Lui et son oncle, opposés inconciliables, vivent sans se connaître ou en se connaissant peut-être trop, une proximité complexe, incompatible. De même les deux femmes deviennent catalyseurs des passions inextinguibles d'une Amérique consciente de son dévoiement et de sa perdition, les relations sont autant de branches fragiles auxquelles chacun se raccroche tout en anticipant la chute inévitable des existences. Arizona Dream construit en ce sens un précipice, un abîme dont la profondeur est à la mesure du rêve américain lui-même : le film fait le constat d'un échec d'abord humain, intime, dont la portée nourrit une crise sans cesse réactivée par les névroses et violence des personnages. Dans cet écueil se dessine naturellement le besoin d'échappatoire, d'ailleurs et de renouveau, un besoin qui cherche son issue au travers d'une caméra souvent mouvante et d'une mise en scène en tableaux successifs et déconnectés. Le récit tente de transgresser en les investissant les uns après les autres ces lieux en huis-clos où se joue le drame des solitudes partagées, et cette tentative, fiévreuse et vaine, pousse précisément le film vers sa dimension subjective et mystique.

Splitscreen-review IMage de Arizona Dream d'Emir Kusturica

Car Arizona Dream hisse ses personnages vers un absolu qui, s'il est inatteignable, reste un but et un fil conducteur. Tout tend vers une sorte d'élévation, de surpassement que le film structure par échelles. Axel conçoit dans sa traversée du territoire et dans les diverses relations qu'il parvient à tisser ici ou là autant d'opportunités de s'échapper. La caméra oscille entre des points de vue hauts et aériens et des angles fichés au sol, présentant des personnages ancrés de manière inaltérable à leur terre et à la réalité qu'ils habitent.

Il n’est pas non plus étonnant de trouver au sein de cette mise en scène des renvois voir une réutilisation de poncifs assez émaillés du cinéma américain. Entre le Soap Opéra et la Sitcom télévisée, Arizona Dream intègre dans sa musicalité et son rythme un référentiel cinématographique élaboré. Loin de répondre à des exigences scénaristiques et comiques cependant, de tels emplois, poussés à l’extrême, apparaissent bien plutôt dans une forme de vacuité et de développement stérile. L’absurde des intrigues et des situations semble porter à bout et épuiser un style de cinéma de la consommation et de la destruction de l’image.

Splitscreen-review IMage de Arizona Dream d'Emir Kusturica

Tous ces dispositifs, répondant à une dynamique formelle et symbolique, sont autant de signes dispersés du trop-plein des existences représentées. L’aspect fragmentaire de cette mise en scène éclectique et de la diégèse portent l’urgence des angoisses vécues et la tentative désespérée d’en réchapper. C’est un étalement, une fuite en avant qui s’étend et se perd dans une frénésie comblée d’onirisme et d’extravagance, et si le comique transpire et le burlesque bat lourdement la mesure, c’est, comme toujours dans le cinéma de ce réalisateur, le corollaire inévitable d’un tragique dont la violence pousse à toutes les ivresses. Kusturica présente finalement avec sensibilité et envol le monde insensible, il réinvestit le chant là où ne subsiste que l’attente d’une chute, un chant qui, derrière le rideau opaque du théâtre de son récit, résonne entre les lèvres de l’Arlequin universel des planches et des images.

Splitscreen-review IMage de Arizona Dream d'Emir Kusturica

Crédit photographique : © Malavida Studiocanal

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