Splitscreen-review Image de Hijo de sicario d'Astrid Rondero et Fernanda Valadez

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Hijo de sicario

Publié par - 21 août 2024

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Primé au festival de Sundance, Hiro de sicario, film réalisé conjointement par Astrid Rondero et Fernanda Valadez, présente quelques qualités qui le singularisent du cinéma indépendant habituel auquel le film se rattache. Ce second long-métrage réalisé en duo après Sans signe particulier (2021) s’inscrit pourtant dans une logique narrative et formelle qui ne laisse guère de doute sur la volonté de se soustraire aux impératifs d’une production codifiée et formatée par un cahier des charges de studio : usage permanent d’une caméra portée, des dialogues restreints, captation d’émotions ou de réflexions transmises par la gestuelle ou des attitudes particulières, tournage en décors naturels, etc.). Mais cette écriture, très étiquetée cinéma indépendant, s’organise selon une architecture à deux niveaux qui rompt avec la linéarité narrative généralement associée à ce champ cinématographique (respect de la matérialité du réel et adoption d’une temporalité vériste).

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Dans un premier temps, le film se construit autour de l’innocence d’un enfant auquel le titre du film renvoie et résume la condition. Sujo (Kevin Aguilar), fils d’un sicario (tueur à gages opérant pour les cartels d'Amérique latine) réputé dans une région rurale du Mexique, devient la proie d’un chef de cartel lorsque son père commet l’irréparable. La vengeance se doit, par tradition, de s’appliquer à tous les membres masculins de la famille. Alors il faut cacher Sujo pour qu’il survive. L’enfant grandit éloigné de la petite ville voisine au milieu d’autres gamins et de femmes protectrices qui constituent désormais sa famille. Cette première partie de film s’organise autour d’un éveil multiple qui ne se retranscrit pas ou peu par l’évocation de rituels d’apprentissages connus. Le film progresse par la fragmentation d’une réalité que l’enfant ne semble pas pouvoir décrypter. À ce titre, l’une des premières scènes du film fixe un cap : un homme et un enfant en bas âge, un père et son fils, dans une voiture. L’homme s’arrête pour discuter avec un autre et demande à l’enfant de demeurer dans le véhicule. Le gamin regarde la scène. Sans doute en raison du ton impérieux qui accompagnait la recommandation paternelle, l’enfant cherche à distinguer ce qui rend l’instant si important. Alors il regarde, il tente de voir une scène rendue floue par un pare-brise sale. Le pare-brise devient un écran sur lequel bougent des silhouettes sans possibilité de voir avec discernement les choses. Les traits du visage du père disparaissent derrière les saletés conglomérées sur le pare-brise. Ce que l’enfant voit n’est plus la réalité mais ce qu’il reste du réel et ce que Sujo comprend du réel. Pas grand-chose à vrai dire. C’est ainsi que l’écran formé par le pare-brise du véhicule devient à la fois la matérialisation de ce qu’il restera du père dans la mémoire de l’enfant et, en même temps, l’incarnation d’une compréhension subjective du monde, celle de Sujo. Systématiquement, lors de cette première partie, ne seront audibles ou visibles que ce que l’enfant est en capacité de comprendre quant à ce qui lui arrive. Plus il grandit, plus le monde lui apparaît dans sa complexité et Sujo devient un trait d’union entre le spectateur et la brutalité du réel qui est le sien.

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Dans la seconde partie, Sujo devenu adolescent (Juan Jesús Varela), comprend que pour penser au futur il doit fuir vers un ailleurs incertain, certes, mais au moins ouvert sur des possibles. Alors Sujo quitte ce milieu pour en rejoindre un autre, la grande ville, Mexico en l’occurrence. Ici, il lui devient possible de décoder l’animosité qui règne. Il peut contourner certains problèmes sans que ceux-ci ne puissent l’atteindre pleinement. Se taire, contourner les obstacles ou les affronter ne relève plus d’une même logique. Et puis une découverte qui relève d’une intuition personnelle : échapper à sa condition passe par l’acquisition du savoir. Alors, Sujo, naturellement, en dehors de son temps de travail visite l’université, assiste à des cours pour voir, pour comprendre, pour conceptualiser ou tenter de le faire ce qu’il est ou pourrait devenir. La caméra respecte ce qui fut mis en place dans la première partie du film : les images qui nous parviennent, leur nature, leur contenu, ce qu’elles traduisent, s’indexent toujours sur le point de vue de Sujo. C’est-à-dire que les images, dans leur simplicité ou leur complexité, reflètent toujours ce que Sujo comprend des situations qui se présentent à lui. Et, bien sûr, plus il avance, plus sa compréhension des choses s’affine.

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Pour preuve l’irruption dans sa vie citadine de son ancien camarade, Jai (Alexis Varela), qui apparaît comme une réminiscence du passé. Ce surgissement, le spectateur l’attendait. Non pas pour visualiser l’issue du film mais plutôt pour mesurer le chemin parcouru par Sujo. Pour confirmer ou infirmer la mue entreprise par le jeune homme. La mise en scène ne s’y trompe pas. Les plans s’élargissent pour que les actes et les discussions entre les deux jeunes hommes s’inscrivent dans une réalité plus vaste que celle qui les contraignait dans la première partie. La vastitude du monde n’est qu’une indexation de la condition de Sujo au réel qu’il a choisi d’habiter. Le théâtre de sa condition s’est agrandi.

Si Hijo de sicario affiche des prétentions modestes, l’aspect indépendant de l’esthétique choisie, c’est que ses deux réalisatrices ont bel et bien conscience que le cas qu’elles ont choisi d’observer ici, celui de Sujo, individu que sa condition initiale condamne, n’est la représentation que d’un vœu pieux, celui des cinéastes. Cela répond à la volonté de montrer que la voie de la violence, même si tout conditionne l’individu pour qu’il alimente la mécanique du crime, n’est pas une fin en soi et qu’un autre monde existe, là, à proximité de celui que le destin s’obstinait à lui réserver.

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Crédit photographique : Copyright Damned Films / Copyright Corpulenta Producciones

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