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Le moine et le fusil

Publié par - 17 novembre 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Sorti de manière discrète au printemps 2024, Le moine et le fusil de Pawo Choyning Dorji nous est désormais proposé par Pyramide Vidéo dans une édition vidéo qui vaut essentiellement pour le film et la qualité de la copie proposée. En bonus, un entretien avec le cinéaste que l’on pourra aisément qualifier de sommaire a le mérite d’éclairer sur la démarche et les ambitions mesurées de la mise en scène. Convenons qu’il est parfois préférable de savoir modérer ses intentions pour parvenir à ses fins plutôt que d’ambitionner de réaliser une œuvre qui se situerait au-delà de ses capacités. C’est ce qui fait tout le charme de ce nouveau film, le second de son auteur après L’école du bout du monde (2019).

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Le Moine et le fusil est une comédie légère qui s’attarde sur des quiproquos nés dans un choc des cultures convoqués habilement par le scénario. À l’origine, un épisode marquant de la vie du Bhoutan. En 2005, le roi Jigme Singye Wangchuck prend une décision qui va changer l’histoire du pays. Il déclare que son royaume se transformera en démocratie parlementaire en 2008 et qu’il abdiquera en faveur de son fils aîné afin que ce dernier puisse organiser les premières élections législatives du pays.

Ce projet de rénovation du fonctionnement étatique du Bhoutan fait suite à la levée de l’interdiction, en 1999, qui pesait sur l’accès à la télévision et Internet. Le pays change et le film s’attarde sur l’incrédulité de sa population face à ces bouleversements. Les images télévisées constituent le premier choc culturel du film. Dans le café d’un village perdu dans un paysage de montagne somptueux, les plus jeunes se réunissent pour regarder la télévision qui diffuse des images qui appartiennent à un autre monde, l’Occident. La bande annonce de James Bond interroge. La surprise est totale et réserve son lot de fascinations : c’est donc ça l’Occident ? C’est donc ça la démocratie ?

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Ici, des trajectoires aux intentions contradictoires se rencontrent en forgeant des récits qui, on s’en doute, convergeront dans un narratif à orientation comique. Une équipe de fonctionnaires est déléguée sur place afin de « préparer » la population au vote à venir. Ils organisent une répétition électorale afin de former la population aux gestes attendus lors du suffrage prévu pour 2008. La simplification du processus de vote imaginée pour cet « entraînement », poussée à l’extrême pour limiter les erreurs, n’échappe pas à l’incompréhension des villageois circonspects. S’ils ne comprennent pas l’intérêt de la décision initiale de leur souverain, leur monde se satisfait d’une allégeance sans réserve à leur roi et à une dévotion sans faille au bouddhisme, ils comprennent encore moins le déroulé du vote. S’identifier pour valider un vote ? Mais tout le monde se connaît ici et il n’est jamais besoin de présenter des documents d’identité. Alors pourquoi changer cette logique ? Pour un vote ? Voter pour quelle raison ? Changer un système qui semble contenter tout le monde ? Les questions multiples s’ajoutent les unes aux autres sans qu’aucune réponse ne puisse satisfaire les interrogations de la communauté.

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À cette situation qui constitue la toile de fond, arrivent deux individus avides d’argent : un jeune guide local accompagné d’un Américain venu acheter une arme de collection afin d’alimenter un trafic de vente d’objets précieux. Forcément, les intérêts des uns ne coïncident pas avec ceux des autres et l’acquisition de l’arme se révèle être une aventure aux péripéties improbables qui créent nombre de dissonances dans la trame. C’est bien évidemment ce contraste qui produit les effets comiques les plus réussis : devant une évidence qui ne se partage pas, l’impuissance et l’incompréhension se résument par des silences évocateurs.

Les situations s’enchaînent et les certitudes de l’instant sont immédiatement remises en question. D’abord par la mise en scène avec une sobriété qui ajoute au comique de situation (alternance de plans qui décrivent l’activité humaine et de plans plus larges qui soulignent la beauté du paysage local de manière à minorer l’importance des actes de chacun). Mais le film se construit aussi par de brusques changements de rythme dans le découpage qui insistent sur la discordance des événements. Les plans d’ensemble ont le mérite, outre celui d’insister sur la beauté des lieux, de minimiser l’importance des motivations humaines. S’en suivra alors une résolution des conflits plus ou moins prévisible qui aura pour qualité première d’être imparable et de soumettre l’individu à sa vanité profonde.

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Crédit photographique : Copyright Pyramide Distribution

Compléments :
Entretien avec Pawo Choyning Dorji (30’)

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