Le cinéma coréen est depuis quelques années un pourvoyeur incontournable de jeunes talents cinématographiques. Que ce soit pour un film criminel, un film gore, un film de science-fiction ou du cinéma plus classique, les cinéastes coréens, jeunes et talentueux, rivalisent d’audace. Comment ce pays si longtemps absent de nos écrans (à tort) peut-il soudainement proposer autant de films de qualité inscrits dans un genre ou non ? Après Bong Joon-ho (Memories of murder), Park Chan-wook (Old Boy, Mademoiselle), Kim Jee-woon (J’ai rencontré le diable), Na Hong-jin (The chaser, The strangers), Lee Chang-dong (Oasis, Poetry), c’est au tour de Kim Seong-hun (Hard Day) de produire un film particulièrement réussi et pour le moins surprenant, Tunnel.
De surprise pourtant, il ne devrait plus y avoir car c’est oublier que tout film est le résultat d’une convergence d’éléments qui excèdent les limites du cadre cinématographique. Autrement dit, tout film répond à des conditions d’existence et d’émergence qui sont en relation avec les réalités sociales et culturelles du pays qui le voit naitre.
Prenons donc en compte quelques réalités sud-coréennes. Ne jamais oublier que ce pays s’est construit dans un climat permanent de guerre ambiante qui a contaminé le comportement de ses populations : occupation japonaise au début du XXe siècle, division en deux Corées au lendemain de la seconde guerre mondiale puis instauration d’un régime totalitaire et ultra répressif qui perdurera jusque dans les années 80. De ce dernier point, il résulte une normalisation de la violence qui, par bien des aspects, est devenue mesure étalon des relations humaines.
Dans ces éléments, on trouve matière à expliquer les origines d’une forme de négation de l’autre qui permet d’installer un climat anxiogène et délétère qui irrigue les films coréens.
Le cinéma, formidable miroir du monde, va donc se faire l’écho de cette violence omniprésente et retranscrire la difficulté de réinsérer dans le quotidien coréen de la considération pour autrui. Ainsi, les films où abondent zombies et autres monstres font figure de véritables constats de la déshumanisation galopante et de la responsabilité de l’état dans l’implosion du tissu social.
Tunnel ne déroge pas à cette règle et, en apparence, s’inscrit dans la veine du film catastrophe. Un homme, Jung-soo, est au volant de sa voiture quand, alors qu’il traverse un tunnel, celui-ci s’effondre. Miraculeusement, sous des tonnes de gravats et de béton, il survit. Il prend contact avec le monde extérieur et les secours, après quelques tergiversations téléphoniques, tentent de s’organiser. Les médias sont là, les politiques aussi. Bref, rien que du classique. Mais pas tout à fait.
Le film catastrophe affiche traditionnellement des singularités qui font figure de codes : révélation de qualités humaines au contact d’une adversité, courage ou sacrifice, solidarité et exaltation de quelques traits de caractères que l’on souhaite ériger en valeurs morales pour un pays ou une civilisation.
Mais l’héroïsme en Corée, au regard de son passé et de ce que nous montre ici Kim Seong-hun, semble consister à faire simplement preuve de bon sens ou à s’adapter à des situations extrêmes pour que nos actes n’aient aucune répercussion sur d’autres individus. Et cela semble demander effort, ce n’est pas inné, ce n’est pas forcément naturel. Aussi, du contraste entre raison et normalité comportementale en situation de crise, jaillit une forme d’humour.
De prime abord, nous pourrions penser que l’humour nait dans l’écart qui existe entre ce qui fait évidence pour le commun des mortels et l’effort consenti par les personnages coréens pour s’y résoudre. En réalité, c’est un leurre. Nous rions de nous-mêmes, nous rions pour exorciser nos propres démons, ceux qui nous poussent à nous livrer à des actes de veulerie ordinaire.
Autre matière à réflexion et à rire, l’incompétence généralisée volontaire ou non. Des médias d’abord qui inscrivent une situation extra-ordinaire dans la banalité d’un feuilleton quotidien. Inconsistance de chacun qui se lasse d’assister au même spectacle tous les jours jusqu’à se montrer irrité ou agacé par le manque de nouveauté, de scoop. Et bien sûr critique des politiques qui s’approprient l’évènement avec l’espoir d’en tirer quelque profit électoral.
Tunnel est une satire féroce sur la Corée bien sûr mais également sur le monde en général car, qui que nous soyons, nous rions de bon cœur à l’infortune de ces victimes. Gageons que nous serions prêts, sans aucun état d’âme, à accepter pourquoi pas la fin programmée et inéluctable de cet être humain juste pour que l’on passe à autre chose. Car il faut bien s’y résoudre. Et ici se situe la puissance de la fable de Kim Seong-hun, elle nous rappelle qu’accepter qu’un individu souffre de nos actes ou décisions revient aussi à perdre un peu de l’humanité qui est en nous.
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