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Les Femmes et les enfants d'abord

Publié par - 6 mai 2025

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

À travers une série de courts-métrages, Pierre Dugowson déploie une galerie de récits critiques qui forment, ensemble, un panorama ironique et inquiet de notre société contemporaine. Mais le rire, comme le prouve cette compilation de courts-métrages, devient, chez Pierre Dugowson, un geste critique, une manière d’habiter le réel sans s’y soumettre.

Chaque film est un bloc, un univers en soi. Pourtant, un fil conducteur traverse cette mosaïque filmique : le regard acéré posé sur les (divers) travers du monde actuel. Chaque film chapitre un récit qui traduit quelques unes des questions de notre temps. Qu’il s’agisse de l’inflation, de la consommation compulsive, du pouvoir pharmaceutique, du pouvoir tout court, du rapport homme/femme ou de l’endoctrinement éducatif à des fins précises, Dugowson aborde ces sujets sans détour mais avec un humour salutaire. Sa mise à distance comique, jamais désengagée, permet de faire affleurer l’absurde du réel sans jamais le caricaturer. L’ironie n’annule pas la gravité ; elle en révèle, au contraire, la profondeur.

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Leçon de choses

Dans Leçon de choses, la satire s’exerce sur l’école où l’apprentissage des mécanismes financiers devient un outil de formatage. La pédagogie vire à l’endoctrinement et l’idéologie libérale est inculquée dès le plus jeune âge. Le monde n’est plus à découvrir, il est à gérer. Dès la maternelle. Dugowson détourne ici les codes de l’éducation bienveillante pour faire apparaître la violence symbolique d’un conditionnement économique présenté comme neutre. Le film, tourné bien en amont pourtant, entre en écho avec les propos récents de la Ministre de l’Éducation Nationale. L’exposition d’enfants qui apprennent les lois du marché comme des évidences naturelles a tout d’un positionnement politique puisqu’il s’agit de provoquer ou de susciter un changement d’état chez le spectateur. Ce thème du formatage traverse également Plastic Shopper où la consommation devient un mode de survie. Une étudiante, archétype de l’influenceuse, arpente les rayons de différents supermarchés et détaille les qualités de produits industrialisés de manière absurde puisque tous enrobés (plutôt deux fois qu’une) de plastique. L’adhésion à l’inacceptable est ici tournée en dérision mais avec une lucidité implacable. Plutôt que de pointer du doigt ou de céder au didactisme, Dugowson fait le choix du décalage et de l’humour comme formes de résistance. Le rire, chez lui, n’adoucit pas la réalité : il la révèle dans ses contradictions les plus profondes.

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Supermarket

Dans Supermarket ou Stuck Option, le quotidien est mis en scène sur le mode de la fable dystopique. Les codes du réalisme sont détournés pour mieux dénoncer les paradoxes d’un système économique dans lequel la précarité devient une coutume et où le détournement des règles s’impose comme seule voie de survie. Le vol y devient collectif, presque joyeux, mais révèle en creux une misère partagée. Le burlesque ici n’est pas une fuite : il révèle la violence systémique sous une forme digérable, mais jamais anodine. Dans Jusqu’à écoulement des stocks, le rire se fait plus discret. Filmé en noir et blanc, ce court-métrage met en scène l’engourdissement émotionnel d’une population dans un monde saturé de médicaments. Ce n’est plus le corps qui agit, mais une enveloppe vide, soumise à un ordre médicalisé devenu ridicule et inquiétant. Les rapports humains sont dissous dans l’indifférence chimique et le mutisme devient l’expression d’une impossibilité à établir le moindre lien. Là encore, Dugowson ne dramatise pas : il observe, avec une distance ironique, les effets d’un monde organisé pour éviter toute faille, toute fragilité et qui finit par éteindre toute forme de présence au monde.

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Stuck Option

Si Dugowson évoque aussi les désastres environnementaux (2030), il le fait sans pathos, en installant ses récits dans des futurs proches où la catastrophe est déjà intégrée comme horizon. Le cinéaste choisit toujours la charge plus ou moins discrète, la construction d’un univers où la logique du monde est poussée jusqu’au non-sens. Là encore, pas de catastrophe spectaculaire. Juste une atmosphère pesante, des gestes ralentis, une parole atone. Le futur imaginé est un présent étiré, dégradé, accepté avec résignation. Cette apathie collective, que Dugowson filme avec humour et gravité, marque peut-être le vrai basculement : celui d’un monde qui ne croit plus en sa capacité à se transformer. Le cinéma devient alors le lieu d’un réveil potentiel, non pas par le choc ou la dénonciation, mais par le décalage et le trouble.

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Jusqu’à écoulement des stocks

Dans Binge Box, un enfant regarde passivement des chaînes de télévision où le climatoscepticisme est omniprésent. Le format carré de l’image évoque un enfermement mental et le zoom progressif sur le visage de l’enfant semble indiquer une absence de réaction. Le film serait alors symptomatique d’un monde où le savoir n’éveille plus. Le rire final du spectateur marque moins un soulagement qu’un point de bascule. Car le rire naît du surgissement d’un retournement qui s’accompagne d’un sentiment de désorientation. Dugowson pousse ici son personnage dans une situation en apparence banale (un enfant regarde la télévision sans trouver un programme qui lui donne satisfaction) où la marge d’action semble dérisoire et pourtant nécessaire comme en atteste le revirement porteur du rire final.

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Binge Box

L’ensemble des films réunis sous le titre Les femmes et les enfants d’abord compose une critique diffuse des formes d’aliénation modernes. Dugowson ne cherche ni à convaincre ni à dénoncer frontalement. Il invite plutôt à regarder le monde tel qu’il est devenu : rationnel jusqu’à l’absurde, saturé de signes, vidé de sens. Son humour, toujours précis, ouvre des failles dans le réel, autant d’espaces qui dispensent un rire lucide par l’intermédiaire d’un regard désaxé qui déjoue les évidences. Dans un monde saturé de discours autoritaires et d’images instrumentalisées, cette poétique de l’absurde agit comme un geste politique. Faire rire pour faire penser. L’humour, pour Dugowson, n’est pas un simple ornement : il devient un langage de la pensée qui abrite la désignation d’un malaise collectif.

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2030

Crédit photographique : © Malavida

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