Splitscreen-review Image de The Phoenician Scheme de Wes Anderson

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The Phoenician Scheme

Publié par - 3 juin 2025

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Dans The Phoenician Scheme, Wes Anderson construit un récit autour d’une figure étonnante, celle d’un anti-héros déroutant. À contre-courant de ses personnages orphelins en quête de figures paternelles, le cinéaste opère ici un renversement : Zsa-Zsa Korda (Benicio Del Toro), patriarche inextinguible, refuse de disparaître en survivant à six tentatives d’assassinat pour mieux (re)naître dans le regard de sa fille. Très vite, dès l’apparition de la fille de Korda, Liesl (Mia Threapleton), le spectateur comprend que le film esquisse une trajectoire singulière pour l’homme d’affaires : celle d’un homme de pouvoir qui apprend à se débarrasser de ses certitudes afin de pouvoir redéfinir ses affects.

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Ce glissement structurel conséquent dans l’œuvre d’Anderson, de l’absence du père à sa persistance (Del Toro est dans presque tous les plans), donne lieu à un récit de transformation mutuelle. Korda, capitaliste nomade, homme d’affaires sans ancrage, n’appartient à rien ni à personne. C’est précisément cette instabilité (géographique, identitaire, affective) que le film met en scène pour mieux la questionner. Au départ, le film s’ouvre sur l’idée d’une enquête qui concerne autant le spectateur que quelques personnages du film. Après une nouvelle tentative d’assassinat, on pense Korda mort. Il s’agit alors de découvrir qui il était réellement. L’évocation est évidente : Citizen Kane d’Orson Welles. Cependant, nous ne sommes pas chez Welles et Korda assume sa posture de Kane andersonien, mystérieux et insaisissable. Contrairement à Citizen Kane, l’enquête sur son être véritable ne sera pas menée par un tiers, mais par lui-même. Il devient ainsi le sujet de sa propre révélation. La piste narrative est donc fausse. Il faut se rattacher et se résigner à suivre le personnage de Korda. Manière subtile de contraindre le spectateur à accepter de s’identifier à ce personnage antipathique de prime abord. Et puis, un tournant apparaît assez vite : lorsque Korda renoue avec sa fille aînée, Liesl, devenue nonne, le personnage entame un cheminement introspectif qui le confronte à ses manquements et à ses défaillances. Changement de paradigme chez Anderson : ce n’est plus l’enfant qui cherche le parent, mais le père qui accepte d’exposer une forme de vulnérabilité en cherchant à tisser un lien filial.

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La structure du film épouse dès lors une logique de miroir : c’est à travers sa fille, Liesl, que Korda espère se (re)trouver. Or, celle-ci n’est pas un double de lui-même, mais un contrepoint : elle incarne la foi, l’ascèse, la distance, là où Korda incarne l’emprise, le monde et la chair. Leur relation se déploie dans une forme de déséquilibre que le film s’ingénie à rééquilibrer progressivement. La décision inaugurale (faire revenir Liesl pour des raisons d’intérêt) est bientôt débordée par une reconfiguration affective profonde.

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Cette dynamique est schématiquement condensée dans un objet pictural : Enfant assis en robe bleue de Renoir, tableau accroché dans l’espace dans lequel dort Liesl. Faux portrait de petite fille (le modèle est en réalité un petit garçon de cinq ans), il agit comme une interface psychique entre le père et la fille. L’image ne reproduit pas une réalité mais cristallise l’essence d’une enfance idéalisée, projetée et pourquoi pas fantasmée par Korda. La confusion est ici fondatrice : l’œuvre ne figure pas la fille telle qu’elle est mais ce qu’elle pourrait être aux yeux d’un père en quête de réparation filiale. Cette toile, à la fois seuil visuel et seuil narratif, devient le miroir d’une possible communication.

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Dans ce récit aux accents d’initiation, les objets, les cadres, les mouvements de caméra, rigoureusement précis comme à l’accoutumée chez Anderson, ne servent pas à ornementer l’espace filmique mais essentiellement à dévoiler la topographie émotionnelle des personnages. Chaque élément devient signifiant, voire confessionnel. Ainsi, The Phoenician Scheme est structuré par des transitions formelles très marquées : les plans fixes, les regards caméra, sortes de ponctuations visuelles ou encore les cadrages frontaux fonctionnent comme des respirations dans un récit d’initiation double. Car l’initiation n’est pas seulement celle du père : Liesl elle-même découvre un monde qui lui a été subtilisé lorsqu’elle fut placée dans une institution religieuse.

Les séquences oniriques, inédites à ce niveau d’importance dans l’univers de Wes Anderson, fonctionnent comme des visions initiatiques. Elles projettent Korda dans une forme de purgatoire moral, où l’individu se confronte à lui-même, à des résonances intimes. Ici, sans y paraître, The Phoenician Scheme devient le lieu d’une confrontation morale dans laquelle la mise en scène, faussement légère dans la tonalité employée, travaille des questions profondes.

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Enfin, fidèle à ses obsessions, Anderson attribue à ses adultes des comportements d’enfants. Chez Anderson, l’enfance n’est pas un âge, mais une façon d’être. C’est là que réside peut-être le motif le plus poignant du film : dans la possibilité pour Korda, figure du pouvoir et du contrôle, de réapprendre l’abandon, la naïveté, voire l’innocence. Ainsi, lorsque Korda consent indirectement à céder dans toutes ses transactions économiques, il cesse d’être le stratège pour devenir le père. Dans ce monde saturé de codes et de signes, The Phoenician Scheme propose une éthique de la désorientation où perdre ses repères devient la première condition de la rencontre.

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Crédit photographique : © TPS Productions ©Focus Features

 

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