
Ce n’est pas faire injure à Laura Wandel que de dire que son second long-métrage, L’intérêt d’Adam, affiche, de prime abord, des qualités essentiellement perceptibles dans l’interprétation. Mais nous aurions tort de réduire l’intérêt du film à une seule et néanmoins excellente direction d’actrices et d’acteurs. Car encore faut-il savoir capter ce que les interprètes injectent, restituent et révèlent. C’est à partir de cette observation que l’on peut approcher la mise en forme du propos.
La mise en scène, toute en caméra portée et majoritairement en plans-séquence, colle aux corps en mouvement, aux corps qui se débattent, chacun dans son rôle. La caméra suit des personnages en prise avec une logique systémique qui se matérialise à travers un espace presque unique, l’hôpital. L’identité spatiale du récit traduit déjà la fermeture d’un système qui prétend protéger, mais qui contraint.
L’Adam du titre (Jules Delsart) est un enfant de quatre ans. Atteint de malnutrition, Adam fait l’objet d’attentions particulières de différentes institutions (hospitalière, juridique). Dans la mise en application de ce qui est censé préserver la santé de l’enfant, les institutions concernées agissent parfois à contresens de l’intérêt des individus, du fait de leur fonctionnement respectif, parfois décorrélé de toute humanité. Ce paradoxe est souligné par les personnages eux-mêmes, témoins directs de ces contradictions.

Ainsi, Lucy (Léa Drucker), l’infirmière pédiatrique en chef, outrepasse les injonctions du juge et les ordres de sa hiérarchie afin que Rebecca (Anamaria Vartolomei), la mère, puisse rester aux côtés d’Adam au-delà du délai légal établi. De cette situation, a priori banale et aux conséquences incertaines, découle une suite d’événements qui ont pour objet d’observer la mise en application de nos institutions et d’étudier la manière dont l’individu s’accommode, ou non, des tensions induites par la gestion de l’hôpital en général. Le film dépasse alors la chronique hospitalière pour embrasser une réflexion plus large sur la société.
Au-delà de son sujet et de ce dont il fait état à propos de l’hôpital, L’intérêt d’Adam porte en lui quelques débats de société, notamment le rapport que nous entretenons avec l’autre. Laura Wandel fait le choix, judicieux, de ne pas épouser le point de vue de l’enfant. Adam est réifié par un fonctionnement institutionnel qui, dans la mise en place de décisions légales, lui refuse d’être considéré comme l’enfant qu’il est. En choisissant de concentrer le propos du film sur ce qui est périphérique à Adam, Laura Wandel sonde l’architecture organisationnelle des institutions. Ce déplacement du regard est décisif : il transforme l’enfant en révélateur de mécanismes qui le dépassent.
Chaque personnage adulte, du médical au judiciaire, s’emploie à honorer sa fonction, à faire respecter son statut, quitte à en abuser. Seules Lucy et Rebecca, pour des raisons affectives évidentes ou plus diffuses, adoptent un comportement professionnel ou passionnel mu par une considération première de l’humain. À travers elles, le film oppose l’attachement intime au normatif, rendant visible un clivage qui teinte tout le récit.

Alors, L’intérêt d’Adam s’apparente à un combat. Contre soi, contre les institutions, contre une logique dénuée de toute réflexion au cas par cas. Il n’est jamais contestable que Rebecca commette des erreurs. Mais ce que le film tend à démontrer, c’est que les décisions prises ignorent le mal qui la ronge, elle, la mère, et qui, par effet concentrique, gagne inévitablement Adam.
En définitive, L’intérêt d’Adam s’impose comme une œuvre qui refuse le confort du manichéisme. Laura Wandel scrute les failles d’un système qui, en voulant protéger, fragilise parfois davantage. En replaçant Adam au centre d’un dispositif qui paradoxalement le nie, la cinéaste questionne la valeur que nous accordons à l’humanité elle-même. L’intérêt d’Adam ne délivre ni réconfort ni sentence, mais expose la complexité de choix institutionnels où l’humain se dissout dans la procédure. Il en résulte une expérience cinématographique, sans pathos ni complaisance, qui dérange autant qu’elle éclaire, traversée de contradictions, qui force à reconsidérer la place de l’enfant dans l’équilibre fragile des responsabilités collectives.

Crédit photographique : ©LauraWandel /©MaxenceDedry