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Silent Hill f

Publié par - 2 octobre 2025

Catégorie(s): Jeux vidéo

Dans le monde du jeu vidéo, Silent Hill est un cas d’école de licence s’étant fait connaître en se distinguant des références de son genre. Les jeux d’horreur ont longtemps eut une approche très directe, voire pulp, en se focalisant sur des récits de monstres ou inspirés des films d’exploitation américains. La référence absolue de cette approche est encore aujourd’hui Resident Evil de Capcom, la grande licence où les zombies et mutants sont affrontés à la pelle à coup d’armes à feu, avec plus ou moins d’emphase sur la survie selon les opus. Lorsque le premier Silent Hill sort en 1999, édité par Konami, son approche plus mélancolique étonne et séduit. La consécration arrivant avec le second opus qui fait de son univers à l’onirisme cauchemardesque une projection des tourments psychiques de son protagoniste. Cette approche plus auteuriste, ancrée dans le cinéma de David Lynch et inspirée de l’Échelle de Jacob, rassemblera une communauté fidèle malgré une perte de vitesse avec les années, aboutissant à une longue pause après l’échec de la production du Silent Hills d’Hideo Kojima.

Passant le remake de Silent Hill 2 sorti en 2024, cela faisait plus de dix ans depuis le dernier opus original sortit. L’annonce de Silent Hill f étonna donc la communauté qui découvrit une intention de raconter une nouvelle histoire dans un cadre nouveau : le Japon des années 60. La curiosité est de mise car, jusqu’à présent, la série se déroulait exclusivement aux États-Unis, malgré que Konami soit un éditeur japonais. Que ce choix de départ ait été artistique ou commercial n’a pas grande importance, contrairement au sentiment avoué des développeurs d’une trop grande occidentalisation de la licence au cours du temps. La production de Silent Hill f par NeoBards Entertainment se voulait ouvertement motivée par le souhait d’approcher la licence à travers des codes strictement japonais. La question était donc de savoir comment parvenir à cette nouvelle interprétation sans perdre les codes de la licence que reconnaissent les fans.

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Cette fois-ci, les joueurs n’explorent pas la célèbre ville américaine de Silent Hill, mais la petite ville d’Ebisugaoka nichée au milieu des collines japonaises. Celle-ci sera découverte à travers les yeux de Shimizu Hinako, une jeune fille que la vie ne semble pas épargner. Dès le départ, celle-ci se présente comme victime d’un père alcoolique auquel est soumise sa femme ainsi que d’une oppression sociale. Préférant jouer avec les garçons dans sa petite enfance, son comportement est jugé peu féminin selon les standards japonais. La séparation des deux sexes à l’arrivée de l’adolescence finissant de limiter ses amitiés à deux copines et un garçon, Shu, qu’elle appelle son “partenaire” depuis qu’ils sont deux gamins jouant à la guerre spatiale. Son opposition à son père et à l’idée d’un mariage arrangé, son désir de choisir son destin dans une société japonaise encore profondément traditionaliste finissent de la placer dans une posture difficile alors qu’une épaisse brume enveloppe la ville.

Lorsque Hinako sort de sa maison pour échapper à ses parents et retrouve ses amis afin de parler, des plantes rouges abjectes commencent à recouvrir les demeures et un monstre tapis dans le brouillard se met à sa poursuite. La ville semble avoir perdu tous ses habitants et d’immondes créatures envahissent ses rues labyrinthiques. Une ville dans le brouillard abandonnée et remplie de monstres… Les codes de la licence sont bien là. Ce qui signifie en substance que les logiques qui structurent les intentions artistiques et narratives de Silent Hill f sont les mêmes que pour ses prédécesseurs. À savoir que la ville embrumée est motif à une plongée dans la psyché des protagonistes. Chaque monstre révèle la vision que ceux-ci ont d’un certain sujet. Ainsi les abominations agressives à l’allure de poupée, à la gestuelle mécanique et au visage souriant, peuvent être vues comme une projection de l’image qu’a Hinako de ses concitoyens vivant dans une société où la gestuelle est particulièrement codifiée et la joie d’y être intégré une demande implicite qui n’apprécie pas les divergences.

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L’esthétique de cet opus présente l’opposition entre une certaine individualité, incarnée par les protagonistes à l’aspect encore humain, et un environnement dont le conditionnement transforme jusqu’à faire disparaître toute identité propre. Ce n’est pas pour rien que les visages sont particulièrement mis à mal. A minima, ils sont recouverts d’un masque, parfois les yeux ont disparu et pour certains c’est le visage entier qui a été chirurgicalement retiré, révélant des corps vides et pourrissants, tels des cadavres évidés. L'idiosyncrasie humaine est présentée comme une source de vie mise à mal par la pression sociale. Un sujet commun dans l’art japonais et qui prend une teinte féminine au vu du vecteur de l’aventure. Certains monstres sont par exemple une masse de ventres qui recrachent des ersatz de fœtus. Une projection de l’image que Hinako se fait de la femme traditionnelle japonaise, dont le mariage est parfois arrangé par la famille, et que le joueur déduit à la lecture des notes laissées par la protagoniste qui considère la femme japonaise comme moins bien traitée que des animaux de ferme. Un point de vue qui fait sens dans une campagne japonaise qui, dans les années 60, confronte ses traditions à de nouvelles idées plus modernes au lendemain de la guerre.

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Cependant, réduire Silent Hill f a une œuvre féministe, au sens occidental contemporain du terme, à charge contre la société patriarcale japonaise, serait tomber à pieds joints dans le piège tendu par ses développeurs et son scénariste, l’anonyme Ryūkishi07. En effet, lorsque le joueur relance une partie après avoir terminé la première, il découvre un récit parcouru de différences qui proposent des choix aboutissant à des fins différentes. Cette technique, que l’on nomme le New Game +, est commune dans le jeu vidéo japonais, comme en témoigne la série des Nier par exemple. Elle vise généralement à augmenter la durée de vie en offrant une expérience différente qui est surtout motif à révéler un nouveau niveau de lecture aux plus obstinés. L’idée est de jouer avec la linéarité pour rappeler au joueur les limites de sa perception et le conditionnement que lui impose un certain point de vue narratif afin de l’inciter à repenser ses actions.

L’aventure de Hinako est représentative de cela comme en témoigne le changement chromatique de son costume, passant du noir au blanc, d’une partie à l’autre. Une fois le jeu relancé, la discussion avec ses parents qui démarre l’aventure change du tout au tout. Le mari violent et sa femme apeurée sont remplacés par un mari épleuré, désespéré par leur situation économique, et une épouse qui cherche à le tempérer et l’appelle à tenir compte des sentiments de sa fille. De nouveaux documents cachés apparaissent et des actions nouvelles sont possibles, notamment la quête d’une épée sacrée. Ces épreuves révèlent des informations qui dévoilent l’origine des visions traumatiques de Hinako. Les monstres-ventres sont-ils une dénonciation du rôle des femmes dans le Japon des années 60 ? Ou s’agit-il de la vision personnelle de la petite Hinako traumatisée par l’état de santé difficile dans lequel la grossesse a plongé sa grande sœur adorée ? Son point de vue et celui du joueur, confondus par une continuité temporelle et le rapport joueur-avatar, suivent ainsi une évolution commune aux airs de psychanalyse.

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L’idée n’est néanmoins pas de nier les conditionnements sociaux et les erreurs d’un père alcoolique. S’ils sont éléments constitutifs de la situation de Hinako, ce que Silent Hill f veut représenter avant tout, ce sont les tourments psychiques d’une jeune fille qui vit une crise d’adolescence, période de la vie qui pousse l’enfant en quête d’individualité à antagoniser ses cadres structurants. La famille et la société sont des ennemis vus avec manichéisme pour une jeune fille qui rêve de faire ses propres choix de vie, mais qui reste mue par une certaine immaturité, représentée par son uniforme scolaire qu’elle porte sans raison apparente. Le passage à l’âge adulte implique d’abord une purification de l’âme.

Raison pour laquelle la dimension psychologique du jeu va de pair avec une approche spirituelle, comme en témoigne l’introduction qui fait toujours avancer la caméra vers la ville embrumée en passant par un Torii, une porte shintoïste menant au monde des esprits. En parallèle de son exploration de la ville, Hinako se retrouve dans un autre monde lorsqu’elle perd connaissance. Un palais labyrinthique qu’elle explore guidée par un homme au masque de renard qu’elle compare au Prince charmant des contes de fées. Celui-ci la conduit petit à petit vers les profondeurs afin d’accomplir divers rituels pour la transformer physiquement et aboutir à un mariage. La puissance symbolique du conte de fée comme élément de structuration psychologique est une notion universelle, après tout.

Cette vision du spirituel comme élément d’évolution du protagoniste tranche avec les précédents opus, où la seule religion représentée à Silent Hill était une secte proprement démoniaque servant d’antagoniste. Les développeurs choisissent ici de faire d’un cheminement shintoïste, parsemé d’épreuves et de tromperies divines, un élément essentiel de la psyché de Hinako alors qu’elle chemine avec l’homme-renard. Logique puisque l’union avec un esprit renard est un modèle présent dans nombre de contes japonais, mais la révélation de la sincérité de cet esprit, archétype de Filou, reste auréolée de mystère jusqu’à la véritable fin du jeu, lorsque le joueur trouve l’épée sacrée, sait quoi en faire et confronte Hinako une dernière fois à son double, baptisé Ombre de Minako.

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Cet opus reprend ainsi la dimension d’exploration psychique propre à la série en usant de règles esthétiques, telles que le brouillard comme lieu d’errance, non comme des reprises faciles aux précédents opus mais éléments archétypaux universels combinés à l’imaginaire shintoïste. Les monstres comme reflets obscurs sont l’une des règles du conte, après tout. Lorsque le père de Hinako devient une abomination obèse dont un bras est une lame géante, une figure masculine difforme en somme, la logique est celle de l’ogre universel. Les théories de Jung et consorts coulent dans les veines de ce jeu qui lie l’évolution psychique de sa protagoniste à la détermination de son joueur, leur agentivité étant commune. La dimension ludique se veut représentation de la règle psychiatrique qui veut qu’une véritable évolution est le fruit d’efforts soutenus pour sortir d’un certain confort mental.

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Silent Hill f avait surpris par l’éloignement choisi de la mythique ville maudite pour ramener les développeurs vers le Japon. Néanmoins, en assumant ce choix de dimension artistique, NeoBards Entertainment semble avoir formé une œuvre cohérente avec elle-même autant qu’avec la licence qu’elle poursuit. Plutôt que de raconter une humble histoire de malédiction japonaise, à l’image de la série des Fatal Frame, cet opus s’empare des codes qui font l’essence de Silent Hill, la plongée dans le psychisme par l’implication choisie du joueur, pour les appliquer à l’espace mental japonais dans toutes ses dimensions, allant du socio-économique au spirituel, et donnant à la licence une dimension universelle. Ceci afin de présenter les tourments d’une adolescente que le joueur guide dans son introspection. Un voyage aux multiples niveaux de lecture dont l’aboutissement est de pouvoir faire des choix en conscience en dissipant les brumes traumatiques qui confondent la réalité et les vues de l’esprit.

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Crédit image : ©Konami / ©NeoBardsEntertainement

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