Splitscreen-review Image de Nouvelle Vague de Richard Linklater

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Nouvelle Vague

Publié par - 14 octobre 2025

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le nouveau film de Richard Linklater, Nouvelle Vague, dès la lecture de son synopsis, intrigue beaucoup : Ceci est l’histoire de Godard tournant « À bout de souffle » racontée dans le style et l’esprit de Godard tournant « À bout de souffle ». Ce que ce synopsis déclare et qui se vérifiera lors du visionnage, c’est que s’il existe dans l’histoire du cinéma de formidables métafilms (films consacrés au cinéma), Nouvelle Vague se propose d’enrichir ce que certains commentateurs n’hésitent pas à qualifier de genre à part entière. Un peu comme Godard l’a fait avec Le Mépris (1963), Linklater élabore une réflexion sur le cinéma qui s’inscrit certes dans une filiation mais qui est avant tout une réappropriation de ce que les maîtres ont laissé en héritage. Ainsi Nouvelle Vague est à percevoir comme une enquête, comme une recherche des traces laissées par Godard en général et de À bout de souffle en particulier tant dans le cinéma que dans le travail de Linklater.

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La grande question soulevée ici par Linklater est celle de la représentation : comment reproduire un tournage en connaissant l’importance historique de celui-ci sans pour autant trahir la spontanéité créatrice de l’époque ? La connaissance du film de Godard, sa légende, ses aléas de tournage ajoutent aux plaisirs du spectateur. Mais pour que cette alchimie fonctionne, il a fallu que le tournage de Nouvelle Vague ne s’inscrive pas dans la copie du tournage d’À bout de souffle mais dans l’interprétation du geste de Godard et de son équipe. Pour Linklater, le choix intentionnel premier est simple : préférer la représentation à la reconstitution sans pour autant occulter des éléments connus de tous les amateurs du film pour en faire des marqueurs temporels.

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Autre vertu du film, et non des moindres, celle qui consiste à ne pas réprimer la modernité du jeu de ses protagonistes qui œuvrent tous à tenter de se fondre dans un temps non par mimétisme mais plutôt en retrouvant l’esprit d’initiative qui fut le moteur de chacun. Ainsi, le choix des comédiens n’est pas dicté par la ressemblance physique avec de prestigieux aînés mais par une aptitude à retrouver ou à imaginer un enthousiasme communicatif à l’idée de faire un film comme personne n’en avait jamais fait encore à l’époque. D’où le choix de comédiens inconnus ou presque afin de retrouver cette fraîcheur, cette envie de tout changer, de tout renverser qui animait la Nouvelle Vague.

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Et la magie opère, le charme gagne le spectateur d’autant que Linklater, loin de se contenter de ce qui fut énoncé ci-dessus, ce qui ne serait déjà pas si mal, pousse la logique intentionnelle dans ses retranchements lorsqu’il s’agit d’aborder l’une des qualités des films de Godard : le citationnel. Linklater mélangent ici différentes strates citationnelles : les anecdotes de tournage d’À bout de souffle, les mots relevés ici ou là et entrés dans l’histoire du tournage d’À bout de souffle… Mais Linklater interroge aussi et surtout le rôle de l’insertion de références dans le cinéma de Godard. Linklater adopte le principe de Godard et transforme les citations présentes dans Nouvelle Vague en introductions à un débat culturel sur la nature du cinéma. Godard convoquait par l’entremise du film des univers artistiques particuliers (musique, littérature, peinture, cinéma, sculpture, etc.) qui dialoguaient avec ses films. Revenait alors au spectateur d’établir des liens hypertextuels. Ici, Linklater désacralise l’attitude. La citation, même si elle n’est pas perçue, ne nuit pas au plaisir du visionnage. Le spectateur n’est privé de rien, Nouvelle Vague suit son cours et l’euphorie ne retombe jamais. Car ce que communique avant tout Nouvelle Vague, c’est la fièvre qui s’empare d’individus qui s’émerveillent à l’idée de faire du cinéma et, du point de vue de Linklater, à nous le montrer.

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Ainsi Nouvelle Vague se présente comme un objet filmique à la fois réflexif et jubilatoire. Un objet dans lequel Richard Linklater fait de la mémoire du cinéma non pas un simple matériau de reconstitution mais un véritable champ d’expérimentation esthétique. En choisissant d’interroger la genèse d’une œuvre mythique, le tournage d’À bout de souffle, le cinéaste américain affirme la vitalité toujours actuelle de l’héritage godardien. Son film témoigne de la possibilité d’un dialogue intemporel où la Nouvelle Vague, loin d’être circonscrite à une époque révolue, redevient une source d’inspiration. D’ailleurs, Linklater le prouve à chaque plan puisqu’il parvient à représenter la naissance d’une liberté tout en reconnaissant qu’elle appartient désormais à l'histoire vivante. Et le film se joue de cette tension, entre hommage et appropriation, entre fascination et distance, pour mieux interroger ce qui reste de la modernité godardienne dans le cinéma contemporain. Par cette attitude, Linklater inscrit sa propre œuvre dans une continuité du cinéma moderne où l’acte de filmer demeure indissociable d’une réflexion sur sa propre condition.

Splitscreen-review Image de Nouvelle Vague de Richard Linklater

Linklater, loin d’être nostalgique, réaffirme que la modernité n’est pas une époque mais une attitude face au réel. En cela, Nouvelle Vague, tourné en Noir et Blanc, respectant le format de l’image d’À bout de souffle, ne se contente pas d’honorer Godard. Le film a pour ambition de prolonger, dans un autre contexte culturel et temporel, une conduite, celle de Godard, qui avait fait éclater les cadres de la narration et de la production. Par ses citations, ses ruptures et ses effervescences, Nouvelle Vague démontre que la conscience du passé n’entrave pas la création, elle la nourrit. Le cinéma, pour Linklater, n’est pas une frise chronologique arrêtée mais un espace de dialogue permanent où chaque image répond à celles qui l’ont précédée. Ainsi, Nouvelle Vague s’impose non comme un hommage figé mais comme une mise en mouvement du regard critique, une invitation à reconsidérer le legs de Godard.

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Crédit photographique : ©JeanLouisFernandez

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