De l’association entre Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys naît On vous croît, un film qui, de son esthétisme (format 1:33) à son dispositif (lieu quasi unique), installe son propos dans un climat claustrophobique. Son intention est claire : interroger le rôle et les limites du législatif face aux violences familiales commises sur des enfants. Le synopsis oriente notre lecture, et le titre, On vous croît, questionne la capacité d’écoute du spectateur et le crédit accordé à la souffrance exprimée.
Si le postulat initial du film peut évoquer un instant le remarquable Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, On vous croît s’en démarque rapidement. Après une épatante scène d’ouverture dans la rue, les auteurs recentrent leur récit sur une unité de temps et d’espace définis par une audience judiciaire. Le film suit ce qui préfigure celle-ci puis la séance où une juge entend les parties. La rigueur de cette spatialité renforce la crédibilité du dispositif d’autant que comédiens et véritables avocats y jouent côte à côte, dans des conditions qui miment le réel. Cette volonté atteint son sommet dans la scène centrale : une prise continue de cinquante-cinq minutes tournée en temps réel. Le film tire ainsi parti de la codification de la procédure (ses contraintes, sa théâtralité) pour y laisser affleurer une vérité relative et fragmentaire qui émerge au fil d’échanges conditionnés par la théâtralité du lieu et des formalités induites par l’audience. Audacieuse intention : du faux, faire naître une évidence qui s’installe petit à petit, au fil des témoignages. Le film puise dans la parole des principaux concernés, la mère et ses enfants en premier lieu, sa matérialité pour se transformer en réceptacle émotionnel.
La conscience de l’urgence que sous-entend une audience donne au film une saveur quasi documentaire. Le processus filmique, guidé par l’improvisation, oblige chacun à réagir avec la spontanéité qu’exigerait une audience réelle. Une parole répond à une autre et cette immédiateté nourrit l’intensité du film. Dans ce cadre, la gravité s’installe progressivement. Le spectateur circule entre les révélations, les doutes et l’appréhension croissante des protagonistes, la mère et les enfants en particulier. La monstruosité ne se lit ni sur un visage ni dans un geste : elle reste masquée par les codes et les neutralités de la procédure. La mère et les enfants redoutent que l’audience uniformise leur parole, qu’un témoignage de plus se perde dans la mécanique judiciaire. Ils savent aussi que celui qui maîtrise le mieux ces codes peut l’emporter. Le film montre alors comment la longueur, la répétition et la multiplication des procédures peuvent s’ajouter aux traumatismes initiaux et, ainsi, prolonger et décupler les violences.
La force de On vous croît se mesure enfin à la maturation progressive de la parole. Les personnages doivent apprivoiser un cadre qui contraint autant qu’il révèle. Le jeu devient subtil : aux interventions techniques des avocats répond la capacité des personnages à contrôler leur affect afin de conformer leur propos aux règles de l’audience. C’est dans cet écart, entre parole formelle et parole habitée, que le film atteint une profondeur qui ne peut laisser indifférent le spectateur.
On vous croît s’impose ainsi comme un film qui interroge non seulement la violence familiale mais aussi les outils censés la révéler et la combattre. En observant avec précision les mécanismes d’une audience, le film expose la fragilité de la parole lorsqu’elle est enfermée dans un cadre qui prétend la protéger mais peut tout autant la neutraliser. Le dispositif formel, rigoureux et épuré, donne au récit une force indéniable : il révèle ce que les procédures laissent souvent dans l’ombre, la charge émotionnelle et la tension morale qui traversent ceux qui s’y soumettent. En cela, On vous croît n’est pas à considérer sous l’angle de la seule reconstitution judiciaire. Le film formule une réflexion sur la place accordée à la souffrance dans nos institutions. Il rappelle que reconnaître une parole ne suffit pas, encore faut-il créer les conditions pour l’entendre vraiment.
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