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A Ghost Story

Publié par - 26 décembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Prisonnier du temps

Depuis le temps, on sait combien Guillermo Del Toro apprécie l’idée de moderniser, et parfois détourner, les archétypes de l’horreur. Il n’y a qu’à voir sa réutilisation du vampire dans Cronos. Aussi ne s’étonne-t-on pas de le voir s’enthousiasmer pour une œuvre comme A Ghost Story de David Lowery. Ici, ce sont les histoires de fantômes et la maison hantée qui sont repensées. Par une relecture de thématiques généralement cantonnées au film d’horreur, à quelques exceptions près, David Lowery nous propose un drame humaniste revisité par la métaphysique.

Pour en arriver là, curieusement, le réalisateur décide de raconter le récit du point de vue du revenant lui-même. A Ghost Story, c'est l'histoire d'un musicien dont on ignore le nom, sobrement baptisé C, qui vit avec sa femme M jusqu’au jour où un accident de voiture lui ôte la vie. Il se relèvera à la morgue sous un drap blanc percé de deux trous à hauteur des yeux. Une représentation classique mais peu effrayante, presque naïve, du fantôme se dit-on, mais c’est évidemment parce que le but n’est pas là. Si les yeux sont les fenêtres de l’âme, alors ce grand linge troué, masquant tout élément corporel, nous montre bien qu’il ne reste rien d’autre du personnage. Son corps est redevenu poussière mais son esprit semble subsister.

Refusant d’aller vers la lumière, C retourne chez lui pour retrouver sa femme, incapable de la laisser derrière lui. De son vivant, C semblait distant, la laissant dans un arrière-plan flou, ne répondant pas vraiment à ses marques d’affections. Mais dans la mort, il l’observe constamment tout au long de son deuil car oui étrangement, c’est d'abord au défunt qu'il revient d’accepter la séparation. Lorsque M se décide à manger une tarte entière, seule avec son chagrin, sur le sol de la cuisine, le fantôme, tout comme le spectateur, observe l’intégralité de ce moment. Et lorsque plusieurs actrices, représentant différemment M, quittent la maison sous le regard du fantôme dans un même plan, David Lowery insiste sur la persistance de la douleur. Ce n’est que lorsqu’elle décidera de quitter la maison pour accepter une vie inévitablement différente, en laissant un petit poème dans une fissure, que cela cessera. Le revenant, régulièrement filmé derrière les carreaux des fenêtres, est en effet prisonnier de ce lieu qu’il semble condamné à hanter. A Ghost Story nous dit que les limbes sont familières.

C voit ainsi passer différents propriétaires, qu’il fait parfois fuir, qui se succèdent rapidement dans la maison. Le temps est déformé pour le spectateur, mais on devine, au vu des scènes précédentes, que C a subi chaque seconde de son errance, désireux de voir le dernier message laissé par sa femme, mais caché derrière la peinture du mur. Le drame atteint son point culminant lorsque la maison est détruite, le message perdu et le fantôme condamné à errer. Même sans demeure à hanter, le revenant est prisonnier. Après avoir commis un acte aussi désespéré que vain, le fantôme est renvoyé dans un passé lointain, où un pionnier plantera des pieux autour de lui au milieu des plaines. Toujours prisonnier, le fantôme ne peut qu’attendre. Il a le temps, l’éternité. This is A Ghost Story.

A Ghost Story nous raconte ainsi une tragédie où les émotions importent plus que leur mise en forme. Le silence règne le plus souvent, et un monologue cynique d’un des personnages semble montrer la futilité de l’existence et des œuvres accomplies ; notamment les créations humaines toutes périssables. Mais, en opposition à cela, le film nous montre comment M réussit à se libérer grâce à la dernière musique de son mari, sa main se rapprochant du fantôme au fur et à mesure que la mélodie passe. Un autre fantôme dialogue avec C parfois, mais aucune voix n’est entendue. La parole et la pensée semblent être l'apanage des vivants. Sans visage apparent, seule la musique permet de comprendre ce que ressent le fantôme montré ainsi comme un être d'émotion. L’art incarne des sentiments purs et si la musique de C a permis à M de passer à autre chose, réciproquement, c’est le poème de l’épouse qui libère le revenant.

Au final, le long monologue cynique prononcé par un vivant devient creux face à une réalité qui nous dépasse comme l'affirment certains plans sur un ciel étoilé rappelant l’immensité de l’univers. Idem pour l’accident qui n’est pas montré car il n’est qu’une péripétie au regard de l’immensité du temps et du cosmos. De cette manière, le drame devient tragédie et propose une réflexion existentialiste sur l’être et la figure du néant, la mort, qui nous préoccupe tous. Ce que fait un homme semble peu de chose, mais c’est en même temps d’une importance inimaginable.

Crédit photographique : Copyright Universal Pictures International France

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