Exposition Chris Marker, les 7 vies d'un cinéaste
Publié par Pierre Raphaël - 17 juillet 2018
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
« Il était une fois en France, au XXe siècle, un homme qui aimait disparaître. Homme secret, caché par un nom qui n’était pas le sien, il ne voulait paraître qu’au travers son œuvre (…) Écrivain, photographe, cinéaste, vidéaste, créateur, bricoleur, monteur, musicien, poète, ami des chats… »
C’est par les mots de Florence Delay, répétés en boucle, que s’ouvre l’exposition Chris Marker, les 7 vies d’un cinéastes.
La volonté de la cinémathèque est de faire du visiteur un voyageur. Le voyageur d’un musée imaginaire. Car on n'«expose» pas Chris Marker. Impossible. D’abord parce qu’il le refusait de son vivant, ensuite parce que son œuvre est tout sauf matérielle. Aussi parce que Marker pensait que les œuvres devaient parler d’elles-mêmes, qu’il était inutile d’expliquer ou de donner des interviews. C’est ainsi que chacun de ses films, chacun de ses écrits, chacune de ses photos étaient, dans la forme, toujours un acte de disparition de lui-même.
Puis on atterrit sur une pièce ronde qui est à la fois l’entrée et la sortie. L’exposition sera une boucle temporelle. Cette pièce nous présente L’Ouvroir, une des dernières œuvres majeures de Marker, son musée virtuel qu’il bâtit avec pour matériaux des pixels sur le site Second life. Ici, la cinémathèque nous informe : cette exposition sera bien réelle, elle repose sur les archives acquises en 2013 et sur lesquelles des historiens, chercheurs (gloire leur soit rendue) ont travaillé pour trier, répertorier et rendre accessible à tous le trésor inestimable pour notre temps que représente le travail de Chris Marker.
Son travail s’étend de 1941 à 2011 et a traversé l’histoire du monde, de la politique, de la réflexion et du militantisme. Le constat est que Marker a observé le XXème siècle dans son intégralité par un long fondu enchaîné.
L’exposition ne délaisse rien et aborde tout. Des photos et correspondances retrouvées pendant la seconde guerre mondial, de Les Statues Meurent Aussi (1953) à Passengers (2011), elle illustre et commente chaque œuvre par des témoignages précieux de collaborateurs et d’amis.
Il faut prendre le temps pour explorer, déambuler, voir, revoir, écouter, prendre une journée s’il le faut pour absorber tout ce que l’exposition nous révèle de l’œuvre de ce génie contemporain. Pour ceux qui connaissent déjà par cœur son œuvre, il aura toujours des découvertes à faire. Les classeurs de collages datant de 1950 numérisés, l’arborescence de ses disques durs ou, plus étonnant encore, l’émission On a télévisé un rêve (1949), sont des reliques précieuses pour tout admirateur de Marker.
« On ne sait jamais ce qu’on filme » dit Marker dans Le fond de l’air est rouge, film fleuve sur tous les militants du monde. Alors il inventa des formes de circulation entre les mots et les images qui interrogeaient son propre regard sur ce qu’il filmait. Son travail sur le texte et la voix off feront école pour une génération entière de cinéastes. « Le texte ne commente pas plus les images, que les images n’illustrent le texte. » disait-il. Chris Marker était et restera la meilleure école de cinéma possible.
Si Marker a continué de re-monter Le fond de l’air est rouge jusqu’en 2008, c’est parce qu’il savait que l’après 68 était un échec et qu’il voulait rendre un hommage lucide à quinze ans de luttes révolutionnaires dans le monde. Derrière ce film, visible dans son intégralité lors de l’exposition, il y a une certaine idée du tragique de l’histoire, une gravité. On retrouve Marker, comme dans Sans Soleil, face à la fatalité. Cette exposition offre ce ressenti, ces doutes dont Marker aurait sûrement apprécié la restitution. À la fin, comme dans ses films, il n’y pas de réponse, juste des réflexions.
Crédit photographique : Chris.Marker.org – Exposition Chris Marker Cinémathèque Française 2018 –© Nicolas Schmidt – IHTP-CNRS-PARIS 8