En cette période d’effusion de films estampillés Marvel Studio, il est peut-être de bon aloi de préciser que Dogman n’est pas un super héros mais l’enseigne du salon de toilettage pour chiens qui appartient à Marcello, personnage principal de Dogman réalisé par Matteo Garrone. Le film fut présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes et l’acteur principal, Marcello Fonte, en est reparti avec le prix d’interprétation masculine.
Dans une banlieue délabrée de Campanie (région de Naples), Marcello est un toiletteur pour chiens appliqué dans son travail et apprécié de son voisinage. Mais, en parallèle, Marcello est aussi dealer de drogues et son client le plus fidèle, Simoncino, ancien boxeur accro, commence à brutaliser et racketter le quartier. Marcello devient alors l’intermédiaire entre les habitants du quartier et Simoncino. Mais la couardise de Marcello face à la brutalité du boxeur le pousse à tomber, malgré lui, dans une spirale criminelle.
La particularité première notable à propos de Dogman réside tout d’abord dans le rapport établi par la mise en scène entre l’humain et la bestialité ambiante. La première séquence ouvre sur un gros plan de chien agressif en train d’aboyer dans le salon de Marcello sous le regard attentif des autres chiens en cage. Les plans sur les animaux sont immédiatement suivis par l’irruption de Marcello dans la séquence. Ce dernier s’occupe, avec calme et savoir-faire, du chien agressif. Cependant cette maîtrise ne s’exerce plus lorsqu’il accompagne la bête la plus féroce de toute, Simoncino. Le comportement des personnages les uns par rapport aux autres est une manière de marquer ce qui sépare Marcello de Simoncino. Les différences entre les deux hommes seront remarquablement traduites dans une scène de cambriolage où Simoncino, par bêtise, n’hésitera pas, lui, à maltraiter un chien qui aboie en l’enfermant dans un freezer. Marcello est incapable de décoder les signaux de communication que lui envoient ses congénères, à part sa fille, mais il est capable de témoigner de la compassion et une patience infinie envers les chiens dont il s’occupe. Il ira d'ailleurs jusqu’à se mettre en péril en retournant dans l’appartement cambriolé pour sauver l’animal congelé.
Ce rapport entre l’humain et l’animal qui se manifeste par plus ou moins de bestialité dans les comportements est aussi une conséquence de l’environnement dans lequel se déroule l’histoire. Dans Dogman, l’espace est vide de toute substance, l’espace est une friche, une zone urbaine presque en ruine. Cette banlieue de Campanie, autrefois destinée au tourisme, n’est plus que le fantôme d’un rêve et semble déconnectée du reste du monde et de son contexte. La plupart des habitants sont des repris de justice, des gens liés de près ou de loin à la mafia ou des « gens de la nuit » (drogués et prostituées) qui traînent leur carcasse dans des boîtes de nuits minables. Le monde dans lequel vivent les personnages est un monde de parias, un univers qui ressemble à s’y méprendre à des limbes où toute rédemption est impossible. Mises à part les quelques parenthèses hors de ce quartier (les sorties de plongée sous-marine de Marcello avec sa fille, les cambriolages dans des quartiers riches), l’environnement du film se résume à ce lieu fantomatique constitué d’immeubles désincarnés, séparés par un espace vide, une place formée par une sorte de cercle de pierre.
Cet univers semble fendre les habitations pour imposer l’idée d’un désastre collectif. D’autant que la place, espace de jeu pour les enfants, ressemble, par la manière dont elle est filmée, à une arène, voire à la grand-rue des westerns. Les événements que ce type de lieu accueille relèvent tous de l’affrontement. La notion de sacrifice humain envahit peu à peu la dramaturgie. Ce n’est alors plus qu'une question de temps pour déterminer qui, dans ce milieu hostile, survivra ou alors périra. La mise en relief du lien qui unie Marcello et Simoncino laisse rapidement spéculer sur l’identité des deux acteurs de cette tragédie contemporaine.
À l’instar des chiens en cage, Marcello reste longtemps passif, lâche, face à la bestialité sans borne de Simoncino. Mais, quand les excès de la brute poussent Marcello à trahir certains de ses amis et être emprisonné à la place du véritable auteur pendant un an, le drame devient tragédie. Sa sortie de prison est aussi sa sortie de cage et l’histoire d’un couard se transforme en un parcours initiatique. Méprisé par ceux qui étaient ses amis, éloigné de sa fille et trompé par l’auteur de sa mauvaise fortune, Marcello doit désormais régler ses comptes avec Simoncino. La particularité de ce règlement de comptes tient dans la nature du rapport entre le protagoniste et le caïd. Pour schématiser, la trajectoire des deux personnages inscrit le trivial dans une dimension tragique. Il s'agit d'une transposition de la rivalité qui opposa Abel et Caïn dans les bas-fonds de Campanie. Marcello ne sait pas y faire avec les hommes. Il va donc tenter d'appréhender Simoncino selon un modèle comportemental emprunté à sa façon de faire avec les chiens. Mais cette inclination, par sa nature, se déshumanise de plus en plus pour devenir une tentative maladroite de dressage. Plus Marcello se déshumanise, plus la faune locale et les éléments contextuels se fondent dans le décor. Le quartier devient alors le théâtre d’un affrontement presque mythique d’une âme en errance contre la bête. Dans le dédale d’une cité sans vie, Marcello ne deviendra pas Thésée mais il a trouvé le Minotaure qu’il doit vaincre.
Comme dans ses films précédents (Reality, Tale of Tales), Matteo Garonne propose une vision très pessimiste de la condition humaine. Le faible ou l’innocent ne peut s’extraire à sa destiné qu’en acceptant de devenir, lui aussi, un monstre. L’environnement de Dogman devient alors un purgatoire. Marcello est condamné à y errer en attendant une improbable issue libératrice.
Crédit photographique : Copyright AlamodeFilm/Greta De Lazzaris