Splitscreen-review Image de Burning de Lee Chang-dong

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Burning

Publié par - 29 août 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Burning concentre son propos autour de trois personnages. À Séoul lors d’une livraison, Jongsu, un jeune coursier et apprenti écrivain sud-coréen, tombe par hasard sur Haemi, une jeune fille qui habitait auparavant son quartier. De la séduction et du désir s’installent entre eux. Puis Haemi part en voyage en Afrique. À son retour elle lui présente Ben, un jeune homme riche et mystérieux.

Lee Chang-dong nous impressionne depuis son premier film, Green Fish (1997). Admiration qui ne s'est jamais démentie depuis puisque suivirent les sublimes Peppermint Candy (2000) et Oasis (2002) jusqu’au bouleversant Poetry en 2010 qui remportait le prix du scénario au Festival de Cannes. Huit longues années plus tard, Lee Chang-dong, cinéaste rare donc, revient avec une œuvre fondamentale, Burning, elle aussi présenté en compétition officielle au Festival de Cannes. Mais cette année, à notre grand regret, le film ne figure pas au palmarès du plus important festival de cinéma au monde. Peu importe, Lee Chang-dong est l’un des cinéastes les plus important du cinéma contemporain et cette absence du palmarès cannois n'y changera rien. Sa filmographie compte autant de chefs d’œuvres que de réalisations.

Avec sa co-scénariste, Oh Jung-mi, il décide cette fois d’adapter Les Granges brûlées d'Haruki Murakami. Cette nouvelle « où il ne se passe rien » d’après Lee Chang-dong lui-même, sert d'ossature à un film qui va peindre plusieurs figures représentatives d’une fable sur la Corée. Un personnage, un décorum et l’histoire jaillit. Elle jaillit lors d’un plan séquence inaugural dans lequel Jongsu marche dans une rue animée de Séoul jusqu’à ce qu’il rencontre Haemi. La caméra, en un seul mouvement, réunit deux faits temporels qui posent les bases de la trame de Burning. C’est magistral. Il pourrait y avoir deux trames parallèles mais le travelling qui ouvre le film en décide autrement. Dès cette rencontre, le spectateur sait qu'une mécanique a été lancée. La logique dont il est question ici se structure autour de deux êtres qui se refusent à leur condition.À quoi vont aboutir la cohabitation et les secousses émotionnelles entre les protagonistes ? Où se situent les limites de l’imagination ? Le film ne tranchera jamais, laissera toujours planer un doute poétique et métaphorique, laissant le soin au spectateur d’interpréter et de projeter les images qu’il veut ou peut y voir.

Car comme le Yin et le Yang, le film repose sur l'idée de dualité et ne choisit jamais son camp. Tout ce qui devrait différencier Jongsu et Haemi les connecte. Comme le Yin et le yang, il y a ce qui semble réel (les sentiments, la fumée de cigarette, la danse) et ce qui tient de l’imaginaire (la pantomime, le chat, le puits). Il y a une résistance à l’ordre établi en Corée du sud (certains commettent des actes criminels, d’autres sont jugés) et la propagande qu’on entend se dispenser en Corée du nord. Il y a Éros et Thanatos figurés par les deux personnages masculins qui se battent pour l’emporter (Vivre ? Survivre ? Exister ?) mais il est impossible de savoir qui incarne qui. Et il y a une dualité intérieur et extérieur.

Dans Burning, le choix des décors est primordial. De chaque pièce, Jongsu peut observer l’extérieur. Depuis l’intérieur, il adapte le monde à ses désirs ou tente de le faire, il interprète les signes d'un monde pour en transformer sa réalité, il re-présente le monde, il fantasme sur ce qui pourrait se réaliser, jouit sur ce qu’il aimerait être réel. Autre figure métaphorique du film, les serres en plastique transparentes trahissent le vide intérieur qui s'apparente à une terre en jachère. La quête de Jongsu est donc laborieuse.

Burning est un film qui contient également une certaine colère hypersensible. Il y est question de la beauté du diable, du vers qui entre dans le fruit. Le Mal absolu se cache dans ces plans admirables d’éphémères vols d’oiseaux au coucher du soleil. Avec une grande habileté, Burning regarde au travers du prisme drame/thriller/polar et on se demande sans cesse quand cela basculera dans la violence et les larmes. À moins que cela n'ait déjà commencé ? Mais alors quand ? Si le basculement est invisible, c'est qu'il n'y en a pas. Le Mal est installé et il règne en maître sur cette terre de désolation. Il ne faut qu'un minimum d'attention pour s'en rendre compte. Un sourire trop long : étrange. Un plan qui s'éternise alors que n'importe quel cinéaste aurait coupé : bizarre. Oui, le vers est dans le fruit et dans l'esprit du spectateur attentif.

Mais au-delà de ce regard acéré sur les deux Corée, il y a aussi dans Burning toutes les réflexions philosophiques que la vie nous impose à chaque fois qu’on aime, à chaque fois qu’on danse, à chaque fois qu’on court. Lee Chang-dong insuffle à son film, avec la virtuosité d’un maître, des moments d’humanisme pur. Il est important de voir Burning car, au-delà de l'évidence d'un discours sur la Corée, y figurent aussi tous les doutes de l’existence qui brûlent en nous et nous motivent pour continuer de vivre. Et ça, c'est universel.

Crédit Photographique : ©PinehouseFilm

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