Splitscreen-review Image de Saint Jack de Peter Bogdanovich

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Journal de la petite lumière 2018 - Troisième jour

Publié par - 17 octobre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

Voilà une journée des plus chargées. Le cinéma offre de nombreuses merveilles mais il a une singularité avec laquelle on ne peut négocier : le temps qu'il dévore.  Tout commence par un réveil matinal malgré un coucher tardif. La première séance n’attend personne, elle démarre à l'heure. Et il était capital d’y être car il s’agissait d’une œuvre d’un autre des cinéastes à l’honneur cette année : Peter Bogdanovich. Pour s’y préparer, quoi de mieux que de voir Saint Jack ou Jack le Magnifique, titre de son exploitation en France.

Saint Jack nous conte les mésaventures de Jack Flowers (Ben Gazzara), un Américain qui vit à Singapour dans les années 70. Tandis que la guerre du Vietnam fait rage au loin, l’expatrié gagne sa vie en tant que proxénète et le film nous fait suivre son parcours durant les dernières années du conflit. Le spectateur assiste aux succès de Jack, aux drames qu'il vit et surtout observe son comportement face aux événements de son quotidien. Sa joie de vivre se manifeste par l'omniprésence de plaisanteries et de petites attentions envers ses proches. Les Singapouriens, les femmes qui travaillent pour lui et même quelques exilés sont sous le charme de Jack. Mais la vie est ses aléas perturbent cette gaieté chaque jour un peu plus pour entraîner le récit sur les territoires d'un drame qui se situe à la croisé des genres. Saint Jack en lui-même évoque les films criminels américains. Il reflète la trajectoire d'un homme allant de l’ascension à la déchéance, le tout saupoudré d’un aspect religieux. Une formule que n’aurait sans doute pas reniée Scorsese.

Adapté d’un roman de Paul Theroux, Saint Jack est une fausse autobiographie de l’écrivain, basée sur de véritables expériences. Saint Jack prend également des airs de documentaire lorsque, caméra à l’épaule, le réalisateur nous montre les rues de Singapour, de ses quartiers les plus pauvres à ses hôtels de luxe en passant par les anciens bâtiments coloniaux. Les habitants ne sont pas oubliés, bien sûr. Certains restent en retrait, voire dans l’ombre, et observent l’Américain avec une angoissante froideur. D’autres, en revanche, sont au contraire très serviables et apprennent certaines choses au contact de Jack telles que tenir tête à un patron sévère ou préparer un cocktail particulier. Cette dualité des comportements et les discussions autour de l’histoire de Singapour nourrissent le film d'informations sur la cité-État et son rapport avec le monde occidental. Tout ceci apporte à Saint Jack une profondeur étonnante.

Mais pas le temps de réfléchir, pas même de prendre un sandwich. À peine le film finit-il qu’il faut courir pour ne pas manquer un nouveau rendez-vous avec Richard Thorpe. Celui-ci nous entraîne cette fois sur les plages d’Hawaï. Avec Dans une île avec vous, on reste dans une certaine forme d'exotisme mais un changement complet de décors opère pour inscrire le film dans un genre tout à fait différent. Richard Thorpe, touche-à-tout fabuleux, s’essaie ici à la comédie musicale. Il nous raconte l’aventure d’un jeune lieutenant de la NAVY nommé Lawrence Kingslee (Peter Lawford). Ce dernier est tombé follement amoureux de l’actrice Rosalind Reynolds (Esther Williams) pendant la guerre. Des années plus tard, il se retrouve conseiller sur le tournage d’un film dans lequel Rosalind Reynolds tient le premier rôle. Celle-ci est, malheureusement, fiancée à un confrère artiste et ne se souvient pas du soldat en question. Mais cela ne diminue en rien les sentiments du protagoniste qui est prêt à tout pour se rappeler à elle.

Dans une île avec vous sort en 1948 et propose tout ce que l’on pouvait attendre du genre à cette époque. Les élans du cœur guident les actions du personnage principal malgré les recommandations des autres. La musique et le chant ponctuent cette romance dans des chorégraphies mâtinées d’un zeste de sensualité ou d’humour. L’amour naïf du lieutenant Kingslee, les couleurs chatoyantes omniprésentes et l’humour du vieux bougon Jimmy Buckley (Jimmy Durante) offrent un spectacle vivifiant à la mise en scène sans prétention et maîtrisée. Dans une île avec vous est conforme à l’image de ce qui ressortait de ma première rencontre avec Richard Thorpe. Le cinéaste confirme qu'il était un excellent "faiseur" qui approchait son travail avec sérieux et passion.

Après une pause réflexive, il faut se rendre à la dernière séance du jour : New York 1997 (Escape from New York) de John Carpenter. Cette fois, je constate que l'assistance sera en moyenne plus jeune. Logique, Carpenter est un de ces cinéastes dont la plupart des œuvres sont entrées, d’une manière ou d’une autre, dans la culture populaire.

Dans celle-ci, sortie en 1981, la fameuse ville de New-York a été transformée en pénitencier géant dont personne ne peut sortir. Aucun gardien sur place, juste les prisonnier et le chaos. Mais le crash d’Air Force One sur Manhattan et la capture du Président des États-Unis obligent les forces de police à envoyer sur l'île un soldat renégat à la recherche du Président. Le nom du soldat est Snake Plissken (Kurt Russel) et il n’a rien du héros romantique des films que j’ai vus précédemment. Pragmatique, égoïste, froid et violent, rien ne semble pouvoir l’empêcher d’accomplir sa mission afin de gagner ainsi sa liberté.

On est cependant loin du pur film d’action. John Carpenter est avant tout connu pour sa maîtrise de l’angoisse et il s’en sert ici pour de transformer la ville en un monde de ténèbres. Carpenter maintient la ville dans l’ombre et le silence. On ne sait rien de ce qui se passe réellement sur l’île jusqu’à ce que le protagoniste y arrive. Ainsi, lorsque des ombres humaines apparaissent furtivement ou qu’un bruit se fait soudain entendre, le spectateur s’inquiète. Les prisonniers eux-même restent tapis dans l'obscurité. Certains sont tels des fantômes, comme la jeune femme qui trouve refuge dans un café en rêvant d’un échappatoire, et d’autres sont des monstres déshumanisés. C’est l’impression que donne la horde de criminels qui jaillit des égouts à la nuit tombée pour attraper de nouvelles proies. La ville est devenue un véritable enfer.

Mais il s’agit bel et bien d’un film d’anticipation. New York est peuplée uniquement de criminels et d'une faune indescriptible. Aujourd'hui, le cauchemar de Carpenter ne semblent pas s’être réalisé. Ou du moins pas encore. Mais comme avec Retour vers le Futur, on peut s’amuser à comprendre les espoirs et les craintes des gens d’une époque à travers la vision qu’ils avaient de l’avenir dans lequel nous vivons désormais. Et en replaçant les différents films visionnés aujourd’hui dans l’ordre chronologique de leur production, une certaine logique semble se dessiner.

Thorpe me présente un film sorti au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Les couleurs et la musique dominent. La joie et l’amour triomphent. Le futur est radieux malgré quelques difficultés. On est dans un monde où les gens ont de l’espoir. Peter Bogdanovich, en revanche, questionne cette foi en l’avenir. Durant la guerre du Vietnam, au lendemain de la mort de Kennedy, la pauvreté, la guerre et l’égoïsme se sont emparés de la société, le rêve est égratigné. Puis vient Carpenter et sa vision de ce que deviendra possiblement New York. Le rêve n’est plus permis. Le héros romantique n’a sa place nulle part. L’homme est redevenu une bête. Le monde s’est effondré sous le poids d’une triste réalité.

De Thorpe à Carpenter, de l’après-guerre au New York des années 80, Hollywood et ses cinéastes semblent témoigner d’un lent désenchantement de l’Amérique.

Crédit photographique :

© Rialto Pictures/Studiocanal

© Splendor Films

 

 

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