J'avais hier plein d'idées pour évoquer un texte imposé et rédhibitoire pour la Split-screen Review sur le sujet de l'amitié dans le cinématographe ou ailleurs. En compagnie de table, nous entamions des propos sur 14-18 ainsi qu'une verveine sauvage qui venait écarter les bières allemandes et les vins français, chacun sa place, la grande illusion attendra. Pétain fut évoqué, je parlai de Gabin dans le film, affirmant qu'il s'y appelle Maréchal, à vérifier. L’amitié franco-allemande ne fête pas son centenaire comme l'a dit précipitamment l'Armée de l'air française le 4-11 via un tweet, cette usine à amis. Je n'ai pas d'ami Facebook. La soirée ne présenta que des vainqueurs et ce matin, l'oubli est large, il me faut tout recommencer.
J'ai vu plusieurs fois La grande illusion en présence de Jean Dasté, St Étienne oblige (Idem Zéro de conduite de Vigo, j'y reviendrai sûrement dans un futur sujet, "la révolution au cinéma"). La caste veut que de Boëldieu / Fresnay soit ami, certes aussi ennemi, de von Rauffenstein / von Stroheim, noblesse oblige, disent les Anglais. Les circonstances veulent que Maréchal (je viens de vérifier) / Gabin soit ami de Rosenthal / Dalio, évadés ensemble et préparant le futur, "Desto besser für sie". Nous sommes en 37, le juif, demain, n'aura plus d'ami. Dalio joue dans Casablanca de Curtiz, j'y reviendrai, hier j'y ai pensé.
C'est la première fois aujourd'hui que j'écris le mot rédhibitoire. Il est midi, je file manger chez des voisins. Des amis ? Je vous parlerai de Moogli et de ET.
Moogli, ce petit singe à gueule de loup, a des amis contraires, tout est presque possible, ses seuls ennemis sont les humains coloniaux et peut-être un tigre. Moogli peut danser avec un ours de jazz et très vite nous apprenons que l’amitié est inattendue, forcément acceptable, en attendant de retourner chez les civilisés, comme Victor, l’Enfant sauvage de Truffaut qui revient à la civilisation grâce à des projections photographiques.
Pathé Baby comme instructeur, acceptons. Ainsi, mes premières constatations d’amitiés au cinéma, via Eiki 16mm (un ami), sont Laurel & Hardy. Un couple d’humains dans des situations exagérées, voici la rencontre, la force, voici aussi le point d’entrée des doutes et des rires, le ciel attendra. Des amitiés, le cinéma de jeunesse nous en fournit de toutes espèces, justement ; un dauphin (Flipper), un kangourou (Skippy), une chienne (Belle), un cheval (Oncle Alfred) ou un pingouin ou le lion qui louche sont des transferts pratiques, l’homosexualité était alors condamnable en justice et en morale, le mot zoophilie restait dans les livres, les peluches se vendent bien. Amitié comme principe sociabilisant sage, via Pathé et Disney ? Mon texte part de travers, corrigeons. ET n'est pas un animal, il veut rentrer à la maison. Se sert-il des enfants ou est-il un ami ? Méfions-nous des Gremlins, amis secs mais ennemis mouillés. "Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge !" (Voltaire, le retour)
J’ai fait un édito, je dois le relire, retrouver le fil de l’amitié. Par le cinéma. Le cinéma prend des humains et les rapproche pour en donner un sens. C’est du divertissement, c’est la guerre et ses bonnes morales de vainqueur, c’est une chronique sociale, c'est un documentaire. Documentaires désormais, Zéro de conduite et ses gosses révoltés (plus tard, If de Lindsay Anderson pour un même combat, sur les toits de l’institution), aussi les Chiche-Capon des Disparus de Saint-Agil qui entrent en complicité pour s’évader (tiens, en 1938, avec aussi von Stroheim). L'amitié est aussi une réalité socio-économique, dans La terrasse de Scola ou dans Vincent François Paul et les autres de Sautet ou dans une série de Bronzés, chacun ayant un caractère et tous formant une entité de combat, de débat, d’habitudes, aussi de luttes fratricides, pour obtenir un avantage, pour garder une mémoire ou un couple, son âge, pour penser qu’on va changer le monde.
Le théâtre aussi nous apporta des amitiés, étiolées, perdues, présentes. « Nous voulions changer le monde et c’est le monde qui nous a changés », dit Nicola Palumbo, l’un des héros de Nous nous sommes tant aimés, de Scola. Oui, des amitiés restent. Hors salle. On évoque. Certains meurent, d'autres naissent, bien sûr et le monde va, comme un navire, comme la décapotable d'un Fanfaron (Risi), enthousiaste mais faux ami. Ah, les faux amis au cinéma ! Le colonel Samuel Trautman est-il l'ami de John Rambo ou son chef ? J'évoque le premier Rambo, First Blood, de Ted Kotcheff. Stallone pleure, LOL.
Le cinéma, parfois, veut changer le monde. Pas la caméra ni la pellicule mais des auteurs, des comédiens, des producteurs ou des animateurs de ciné-clubs. Amitiés chrétiennes ou communistes de ces clubs, jadis, puisqu’aujourd’hui il n’y a plus de Rouges ni de dieux. L’amitié n’est pas seulement dans le boîtier de pellicule, elle est assise et regarde le même faisceau. Les festivals, entre amis, les salles pour l'émotion collective dont parlait Fellini.
Nous allons ensemble au cinoche, nos vingt ans en bataille, Thierry me fait découvrir Tarkovski et Paradjanov. Avec Loulou, on cause avec Serge Daney et Michel Ciment. Avec Philippe, je rencontre Anémone, Anna Karina, avec encore Philippe et aussi Jean-Philippe et Michel et Yves et Laurence, on tourne. MOTEUR ! Avec Simon, on voit Moogli, vieux parmi des mômes hilares. Plus tard, Stéphane me balance dans l’aventure Splitscreenesque et puis les filles, les filles qu’on emmène au cinéma en vue d’une main trouvée quand le regard doit rester droit, on s'offre des genoux. On y prend la même culture, ça forme les sujets de discussions, avec le vin, les petits qui grandissent aussi, la politique, le curling ou la disparition des espèces, les guerres, encore. Ça unit.
Et ça divise, amitiés cassées au cinéma sont source et mer, amitié naissantes sont souffle et vent. Le vent d’un avion à hélices à l’aéroport de Casablanca, le film finit par cette phrase mentionnée dans l’édito : "Louis, I Think this is the beginning of a beautiful friendship". Souvent, l’amitié au cinéma est une nécessité, pour s’en sortir, pour dépasser une situation, un accident. L’amitié y est bien souvent liée à la guerre, méfions-nous. Je me méfie du flûtiau de de Boëldieu, préférant le chant de Baloo. Il en faut peu pour être heureux. Laissons Bambi et Panpan rester jeunes quand Harry Potter et ses amis se sentent obligés de grandir.
Crédit Photo : La grande illusion © 1937 - World Pictures Corporation