Splitscreen-review Image de Sans pitié de Byun Sung-hyun

Accueil > Cinéma > Sans pitié

Sans pitié

Publié par - 3 juillet 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le cinéma sud-coréen ne cesse de nous surprendre. Chaque année, ses talents nous proposent quelques œuvres impressionnantes. On peut entre-autre citer The Strangers et Mademoiselle sorties toutes deux en 2016. Certaines œuvres sont d’autant plus étonnantes qu’on ne les a pas vues arriver. En 2017, outre Tunnel, le Festival de Cannes nous a présenté une nouvelle trouvaille : Sans pitié réalisé par Byun Sung-hyun. Ce nom ne vous dit probablement rien et ce n’est pas étonnant. Avant ce film, ce cinéaste n’avait réalisé qu’un court métrage, une comédie romantique, et un film traitant du Hip-Hop coréen. Difficile d’imaginer à partir de cela que, cinq ans après, le réalisateur nous proposerait un film criminel qui irait jusque sur la croisette. Mais de quoi est-il question en fait ? Pourquoi cet intérêt soudain pour Byun Sung-hyun ?

Sans pitié narre la rencontre de deux prisonniers : Jae-ho, parrain du pénitencier et second d’un puissant gang coréen, et Hyun-soo, jeune homme fougueux tout juste emprisonné. Seulement Hyun-soo se trouve être un policier infiltré. Sa mission consiste à se rapprocher de Jae-ho pour entrer dans son gang et en faire arrêter les membres. Un lien imprévisible va alors se tisser entre eux et sera le cœur de cette histoire.

Plus qu’une plongée dans la criminalité coréenne, Sans pitié nous dépeint la détresse du jeune Hyun-soo. Orphelin de père, il va trouver dans ce gang ce qu’il n’a jamais eu : une famille. Malgré la violence brutale qui jalonne le film, il plane très souvent sur Sans pitié une ambiance de chronique familiale. Le gang se considère comme une famille et fonctionne selon des rituels voisins : on trinque, on rit ensemble, on festoie et nous partageons leurs joies et leurs émotions diverses comme dans une traditionnelle chronique familiale. Lorsque la violence éclate contre un autre gang, elle est impitoyable. Mais lorsque celle-ci touche un membre du gang, à la fin du film, nous sommes en plein drame dans lequel s'exprime la souffrance de Jae-oh. Hyun-soo se retrouve alors plongé dans une confusion affective : il hésite, tiraillé et perdu, entre la loyauté qu’il doit à sa profession de policier et les liens tissés avec le gang, sa nouvelle famille.

Cette conversion se fait naturellement car Jae-oh devient une figure paternelle par ses attentions (il permet par exemple à Hyun-soo de sortir de prison pour enterrer sa mère) ou par sa discipline (lorsqu’il frappe Hyun-soo parce que ce dernier ne se contrôle plus). Plus encore, Jae-oh est dépeint comme une figure christique. Sa présentation est faite à Hyun-soo par un homme portant une bible. Il est dépeint comme un messager de paix en prison et le repas que partage Jae-oh avec des prisonniers est une véritable évocation de la Cène contrairement à un repas pris, dans la même pièce, par un autre chef de gang, qui n’est rien de plus qu’un repas comme les autres. Jae-oh se présente d’ailleurs comme un arbitre, un juge en prison. Son charisme et sa position dans la prison contribuent à éloigner Hyun-soo de sa mission première malgré son naturel de tueur violent et machiavélique, ce qui rend son personnage chargé d’ambiguïté, le situant entre le christ et l’antéchrist.

À ce monde de crimes s'oppose a priori celui de la police incarné par la chef d’équipe Chun. Et malgré les crimes de Jae-oh une équivoque s'installe car l’institution policière représentée par Chun est autant manipulatrice que le gang. Les inspecteurs rechignent à lancer l’enquête contre les gangs par peur que la saisie des bateaux des trafiquants ne ralentisse le commerce maritime. La chef d’équipe n’hésite pas à mentir et parler de son désir de monter en grade, tout en cachant des informations à Hyun-soo et refuse, par arrivisme, de faire preuve de compassion. A l'inverse du milieu criminel où chacun est soucieux de l’autre, le gouvernement est montré comme distant, calculateur et insensible.

Le spectateur est entrainé dans cette interrogation existentielle par un montage intelligent. Sans pitié se raconte dans un "désordre" chronologique qui, loin de le perdre, multiplie les retournements de situations et nous plonge dans une atmosphère paranoïaque. Tout comme Hyun-soo et Jae-oh, on ne sait pas à qui se fier. Aucun n’est réellement un héros, aucun n’est réellement un pourri. La loi contrôle froidement ses agents, les criminels tuent pour le profit. Mais dans cet enfer, une lueur d’espoir existe. C’est le lien familial, la transmission. Pas une transmission de valeur mais de quelque chose de plus profond. Malgré la violence et les trahisons, Jae-oh s’ouvre à Hyun-soo comme ce dernier s’est ouvert à lui. Il en résultera un profond sentiment de culpabilité chez Jae-oh, chose qu’il ne voulait plus ou ne pensait plus ressentir. Ce sentiment est par ailleurs présenté d’abord comme absent de ce monde où tuer fait partie du quotidien et où le meurtre participe d’une certaine forme de banalité. La découverte de ce sentiment se nourrit parallèlement de l’affection ressentie envers une autre personne. Hyun-soo se voit transmettre une leçon importante de Jae-oh : ne pas faire les mêmes erreurs que lui, ne pas se fermer au monde et aux autres.

Byun Sung-hyun nous offre ainsi, pour son premier film international, une œuvre où le milieu criminel devient plus qu’un reflet social. Dans cet océan de violence, le spirituel se cache et ne demande qu’à éclore. Des valeurs existent là où on ne le pense pas et, malgré la mort omniprésente, une forme d’optimisme ressort : en Corée aussi, il est possible de croire en l’humain.

Crédit photographique : Copyright ARP Sélection

Partager

à lire aussi