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Malick : « Knight of cups »

Publié par - 5 juillet 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Malick et les tentations d’exister dans "Knight of cups"

 « Il faut être perdu, il faut avoir perdu le monde, pour se trouver soi-même ». Henri David Thoreau

L’image de l’adaptabilité de l’humain à son environnement est une des singularités culturelles américaines. La conquête des espaces vierges placée sous le commandement de « signes » divins a nourri tant un imaginaire filmique, qui a valeur de constat historique, qu’une façon de penser le monde et de se penser dans le monde. Nombreux sont, aujourd’hui, les cinéastes américains qui ne cessent de questionner cette Histoire et ce rapport de l’homme à l’espace qu’il a investi.  Parmi ceux-ci, de toute évidence, Terrence Malick est sans doute celui qui maintient de manière la plus vivace ces interrogations existentielles.

Jusque-là, le cinéma de Malick abordait ces questions sous l’angle d’une pastorale qui développait une problématique subordonnée à la juxtaposition de l’homme et de la Nature. Puis arrive Knight of cups et la transposition en milieu urbain des pensées malickiennes ce qui, in fine, ne change absolument pas la nature de ses obsessions premières.

Splitsrceen-review Image de Knight of cups de Terrence Malick

L’espace chez Malick permet toujours de théâtraliser l’interaction existante entre l’humain et ce qui l’entoure. Chez le cinéaste américain, l’homme, qu’il soit celui qui figure sur l’écran ou qu’il soit celui qui observe ce qui figure sur l’écran, révèle sa véritable nature identitaire à travers le rapport qui le lie ou pas au film, donc, au monde. Son cinéma nous propose systématiquement une expérience individuelle : celle d’une confrontation entre ce que nous sommes et notre aptitude ou notre incapacité à habiter ce qui est mis à notre disposition pour être.

Knight of cups, comme tous les autres films de Malick d’ailleurs, nous propose de découvrir ce que nous sommes, nous spectateurs, par sollicitation de notre pensée au contact de sons et d’images. Cela convoque un déplacement psychique et projectif du spectateur invité à vagabonder par le mouvement des comédiens ou de la caméra. Les trajectoires techniques ou humaines proposées par le film sont systématiquement amputées d’une finalité car elles ont pour objet d’incarner des questionnements qui demeurent sans réponse. Si le montage, corroborant cette idée, interrompt littéralement notre lien aux images par des cuts abrupts, c’est qu’il est question ici de ne pas permettre de mesurer tous les actes ou tous les mouvements dans l’intégralité de leur amplitude. Cela participe de la volonté de traduire une figure de l’incomplétude qui rejoint la discordance qui existe entre l’individu, son être profond et le monde, mais également de nous convier à évaluer notre propre rapport au monde.

 

Le cinéma de Terrence Malick trouve donc sa cohérence et son essence dans la figuration d’une fracture évidente entre l’homme et l’univers qui se dit par la forme filmique. Ainsi, l’utilisation de la voix off, proche de son rôle dans le film noir, souligne un dérèglement intérieur qui se matérialise par une inaptitude à habiter l’espace commun. Mais, au-delà du montage et des sonorités, c’est aussi par ses choix d’angulaires et son travail sur les lumières que se concrétise l’écart entre ce qu’est l’homme et ce qu’il pourrait être. Alors que la déréalisation des contacts humains passe par des éclairages au néon qui soulignent une forme pathologique de repli sur soi, les éclairages naturels contribuent eux, de manière mélancolique, à incarner l’improbabilité ou, au mieux, la difficulté de relier l’être au monde.

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Par ailleurs, les effets de montage et les différences de format multiplient les superpositions identitaires et géographiques : Las Vegas apparait comme une excroissance de Los Angeles au même titre que les chambres d’hôtels ne diffèrent en rien de l’appartement de Christian Bale. Peu importe donc la nature de l’espace montré, il n’est qu’une réminiscence de ce que nous avons raté et l’histoire individuelle qui s’y déroule demeure la même, le parcours ne change pas, l’âme erre. Par un jeu d’interpénétration des espaces collectifs et intimes, filmer Los Angeles ou Vegas revient ici à incarner physiquement l’espace psychique : les projections des interrogations de Christian Bale ne cessent de s’extérioriser à travers ses déplacements ou les mouvements perpétuels de caméra tandis que les différents formats d’images reflètent l’indifférence du monde au cheminement humain.

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Pour Malick, filmer un fragment d’appartement, l’intersection de deux rues ou un tunnel, c’est révéler la présence oubliée d’un champ des possibles. Un tremblement de terre surgit et le tellurique procède à un réajustement d’échelle qui repositionne l’homme dans son état. Failles et fissures laissent entrevoir de nouvelles perspectives qu’il nous sera permis d’emprunter. Tout sera alors affaire de choix et de conscience.

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L’urbain dont il est question dans Knight of cups, Los Angeles ou Vegas, apparait comme un marqueur qui permet de mesurer ce que sont nos civilisations devenues.

La ville est une figure du néant, un espace vide le plus souvent. Un vide qui est avant tout un camp de base pour partir vers une exploration de l’être. Il y a en effet dans Knight of cups cette possibilité de voir dans le vide urbain le théâtre idéal d’une transcendance des espaces intimes et collectifs de la représentation de soi. Le néant pourrait alors devenir, selon des principes asiatiques, le point de départ d’une élévation spirituelle. Le point de départ de l’élévation de la pensée qui est, chez Malick, ce qui relève d’une interrogation existentielle qui tend à éprouver le fait d’être en ce monde.

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Crédit images :

© 2016 - Broad Green Pictures

Copyright StudioCanal

 

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