Splitscreen-review Image de Memories of murder de Bong Joon-ho

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Memories of Murder

Publié par - 16 juillet 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Bong Joon-ho est un réalisateur de réputation internationale. Ses films ont été reconnus en Europe, ils sont aujourd’hui en partie produits par les États-Unis, et ils portent dans l’ensemble un regard unique sur la Corée du sud. Avant de réaliser des coproductions, il signe Barking Dog, Memories of Murder, The Host, etMother, qui s’inscrivent dans la vague coréenne de films détournant le genre en l’actualisant au nouveau paysage du pays. C’est l’un de ces cinéastes très remarqués et appréciés, notamment en France, pour leur indéniable qualité formelle, comme le sont Park Chan-Wok et Kim Jee-Woon.

Le premier essor dans les années 1950 était sino-coréen, et force de l’Histoire oblige, la nouvelle école fut américano-coréenne. Memories of Murder est exemplaire de tout cela, et rentre sans équivoque dans les classiques du cinéma des années 2000.

Restauré en 4K par la CJ Entertainment and Media, Memories of Murder, fait partie d’une grande campagne de restauration entreprise par la firme en 2015 pour l'ensemble de son catalogue dans un but autant d’archivage que de nouvelle diffusion via les chaines de télévision coréennes de cinéma, les formats physiques de salon et la VOD à l’international. Un acteur de choix étant bien évidemment Netflix, qui s’est invité à Cannes cette année grâce à Okja, dernier long métrage de Bong Joon-ho, en sélection officielle du festival, et disponible sur la plateforme depuis le 28 Juin 2017. Un mouvement opéré depuis quelques années déjà qui suit, n’en déplaise à certains, deux logiques indéniablement cinématographiques : l’industrielle et la populaire. Même si ce n’est pas le but affiché, c’est bien au cinéma que l’on peut redécouvrir aujourd’hui Memories of Murder qui date de 2003, dans cette nouvelle copie de qualité.

Le film relate une enquête, basée sur une affaire réelle datant de 1986 et non élucidée. Loin de Séoul, dans la province de Gyunggi, s’ouvre le premier cas connu de serial killer du pays. Le policer local se retrouve très vite démuni, et l’enquêteur envoyé par Séoul est lui-même dépassé. Deux mondes s’opposent à travers les deux protagonistes: deux époques, deux façons de penser se confrontent. Les contradictions du pays sont mises en lumière par les détectives qui explorent des espaces variés, toujours pour nous montrer ce qui se trame sous la surface.

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Liés à une maitrise formaliste de l’image, les décors souffrent de mutations à la surface comme autant de symptômes des maux viscéraux, venant du plus profond de la ville, de ses institutions et ses habitants. Le paysage change, les tréfonds restent les mêmes, pourris de l’intérieur. À la surface l’enquêteur ne peut que constater l’irréparable bouleversement qui mènera de cette image éclatante dans l’école locale, à celle ténébreuse, plus tard, sur la scène du dernier crime du tueur.

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Sous la surface, le mal prend racine, là où le premier cadavre est trouvé, mais aussi sous le commissariat où les multiples suspects sont interrogés à coup de pieds. Les entrailles du village semblent agonisantes, comme cette vieille et monstrueuse chaudière qui sert de toile de fond aux interrogatoires musclés.

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Une confrontation violente oppose deux modes opératoires, deux mondes. La méthodologie, le pragmatisme et la rigueur de l’enquêteur de Séoul sont en contradiction avec les intuitions, superstitions, et traditions du détective local. Mais les deux fonctionnements s’imbriquent et évoluent merveilleusement pour nourrir l'aspect humoristique du film, où l’absurde vire du comique au tragique avec finesse, et sans tomber dans la violence d’un regard arbitraire. L’enquêteur et le tueur partagent et chérissent en effet la même méthode froide qui contraste avec la sincérité des autochtones qui en fait des idiots sympathiques, lourdauds, machistes, violents, oui, mais touchants. Et le film est rempli des contradictions fondamentales du pays, il y est question d'exposer les transitions culturelles radicales qui rapprochent la Corée des États-Unis.

La violence est partagée dans le film selon ce modèle, sans hiérarchie, entre le tueur, calculateur, qui marque en profondeur les décors du film en y laissant ses victimes, et à l’opposée, une violence qui est tout sauf pensée, une violence idiote et instinctive. Cette dernière laisse des traces encore bien plus profondes dans les institutions coréennes, contre les femmes, les étudiants, et les habitants les plus simples. À l’image de ce policier au coup de pied plus que facile, dont la brutalité est entièrement fonctionnelle, la violence s'intègre au quotidien et sert de figuration/décoration au film. Il n’y a rien de personnel dans ses rigoureux piétinements de suspects, dans la répression des manifestations étudiantes, ou dans les moqueries dirigées vers leurs collègues féminins. C’est ce que l’on attend d'eux. Rien à voir avec l’intimité exacerbée des crimes du serial killer au cœur de l’enquête.

L’enjeu en explorant ces violences, et en y faisant évoluer ses personnages, semble surtout d’appréhender la place des enfants dans le film et dans la Corée future. Nous regardons et nous nous interrogeons sur les deux enquêteurs, mais eux regardent constamment les enfants et s’interrogent sur leur devenir.

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La relation de Memories of Murder aux codes du film policier américain relève de l'identitaire. Elle fait écho à la trame scénaristique lorsque les enquêteurs sont obligés de demander l’aide au FBI pour une recherche d'ADN. L’engouement pour le cinéma US n’a jamais été caché par le réalisateur qui signera Le Transperceneige. La structure de son cinéma est Américaine mais le film reste Coréen dans sa partie dionysiaque : les plus petits gestes des protagonistes, le chaos dessiné par les figurants et bien sûr les luttes dans la boue, trop belles pour être chorégraphiées de manière occidentale.

Plein d’humour et de décalages, le recul sur le genre est habilement mis en évidence et l’intrigue joue constamment avec les attentes du spectateur, comme le fera David Fincher avec son Zodiac. Revoir Memories of Murder, c’est aussi revoir ce cinéma de genre policier qui a précédé les œuvres que l’on prend plaisir à voir et à critiquer aujourd’hui, qui fleurissent à la télévision, de Fargo à True Detective.

Crédit photographique : Copyright Les Bookmakers / La Rabbia

The release of Memories of Murder in a restored 4K version offers an opportunity to rediscover the genre of the police film, introducing the Korean director Bong Joon-ho to the world back in 2003.

Two fundamentally different investigators join forces to track down the first serial killer in the country, in 1986. Blending the comic with the tragic, the plot becomes a pretext to explore the contradictions of South Korean institutions. The filmmaker’s impeccable mastery in formal terms marks the space, from surface to depth. Violence remains invisible, but penetrates every image from the innermost. Bong Joon-ho follows the codes of genre, resolutely American, which he would develop further in his later oeuvre.

 

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