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Oats Studios - Volume 1
Publié par François Vieux - 17 juillet 2017
Catégorie(s): Séries TV / V.O.D.
Réaliser un court-métrage posant les bases scénaristiques et cinématographiques d’une œuvre de plus grande échelle, voilà un processus efficace que l'on observe souvent en festival chez les auteurs en herbe. Neill Blomkamp a vu juste en 2006 en proposant Alive In Joburg, un impressionnant court qui allait structurer les fondations de son univers de cinéaste mêlant problématiques sociales contemporaines (racisme, exil, révolte) et allégorie extraterrestre. Après un bouche à oreille dément, Peter Jackson repère ce sud-africano-canadien de 26 ans et lui donne les clés financières pour réaliser son 1er long-métrage : District 9, version longue d’Alive... Carton mondial, Blomkamp est propulsé en tête des jeunes loups qui se proposent de rafraichir la SF au cinéma. Revers de la médaille, les budgets monstres qui lui seront alloués pour ses deux prochains longs (Elysium et Chappie) iront de paire avec des restreintes artistiques qui frustreront tant l’homme que ses spectateurs. La cerise sur le gâteau sera l’annulation pure et simple de son projet sur lequel il travailla près de deux ans, Alien 5. Ridley Scott qui donna son accord oral ne le couchera jamais par écrit, préférant lui-même s’occuper tant bien que mal d'entretenir le mythe de sa franchise.
Mais ces deux dernières années n’auront surement pas été perdues pour un suractif tel que Blomkamp puisqu’en 2015 il commence à monter son propre studio 100% indépendant : Oats Studios. A travers cette structure d’un genre nouveau, il concrétise le rêve de tout passionné, réaliser ce qu’il souhaite sans entrave artistique. Belle utopie, mais comment cela fonctionne ?
Fort de la réussite financière de ses précédents films, c’est en majorité de la poche de son créateur, accompagné de quelques mécènes, que Oats Studios va voir le jour. Absolument aucun autre apport de société privé (et bien entendu public, nous sommes aux USA) ne vient compléter ce projet totalement autonome. L’idée du projet est la suivante : proposer des courts-métrages gratuitement sur Internet (via Youtube et Steam) afin de tenter de créer un maelstrom de buzz autour d’au moins un des films. Buzz qui rassurera les investisseurs quant au potentiel financier d’une version grand écran, et sur laquelle Blomkamp aura entièrement son mot à dire puisque auteur et responsable des qualités artistiques dudit court. Bref, le but du studio est de recréer l’alchimie qui donna naissance à l’audacieux et salué District 9, mais en ne passant pas cette fois par les festivals, mais par le joyeux monde de l’Internet.
Au-delà de cette générosité du tout gratuit, Oats Studios Volume 1 propose également de quoi soutenir financièrement le projet. Et là où le crowdfunding vous vend du vide (qui peut, ou pas, se matérialiser), on peut cette fois acheter les « DLC » de chacun des courts métrages (5€). Concrètement, cela veut dire avoir accès au film en qualité Blu-Ray, aux commentaires audio etc… Mais là où l’intérêt de passer par le net trouve sa cohérence, c’est dans la mise à disposition d'un accès intégral aux modèles 3D des principaux effets spéciaux du film (créature, véhicule…), à chacune des pistes sonores non mixées et, nous promet-on bientôt, carrément aux rushs de chaque œuvre ! Oats Studios ou quand la passion et l’envie de partager son univers passent un nouveau cap…
Et qu'en est-il des films de ce Volume 1 à proprement parler ? Ils sont en quelque sorte un carnet d’idées libres et brouillonnes qui s’animent en vidéo et, en tant que tel, naviguent entre le très bon et le très moyen. En guise d’entrée en matière, Oats Studios propose Cooking with Bill (4 épisodes) et God, des très courts-métrages drôles et outranciers qui ne sont pas sans évoquer ce que propose aujourd’hui Adult Swim. Ce sont un peu des ouvertures, des usines à clics pour les réseaux sociaux afin de faire connaitre la société et attirer les spectateurs vers les « grosses productions ». Cooking With Bill parodie délicieusement les émissions culinaires des 80’s en leur ajoutant une toute aussi délicieuse couche poisseuse. God, quant à lui, confirme que Sharlto Copley (acteur fétiche sud-africain de longue date du metteur en scène) aurait fait un parfait 7ème Monty Python.
Rakka, Firebase et Zygote (tous réalisés par Neill Blomkamp) représentent les fers de lance du projet. Quels que soient leurs qualités et défauts intrinsèques, il est avant tout nécessaire de souligner l’incroyable rendu visuel et la parfaite domestication des effets spéciaux qui les accompagnent tous. Blomkamp se situe à la parfaite croisée des chemins entre maitrise du FX plateau et utilisation judicieuse des effets numériques (équilibre si difficile à trouver au regard du fantastique à l’écran en 2017). Passons sur Firebase qui manque malheureusement d'exploiter correctement son ambitieux sujet (Guerre du Vietnam) pour s’attarder sur deux réussites totales.
Zygote tout d’abord (titre on ne peut plus approprié), met en scène Dakota Fanning et Jose Pablo Cantillo dans un survival à bord d’une station attaquée par une créature d’une monstruosité que l’on ne soupçonnait même plus possible à l’écran. Hommage vibrant à The Thing de John Carpenter mais aussi au Society de Brian Yuzna, il délaisse totalement son scénario pour se focaliser sur l’efficacité de la mise en scène durant une vingtaine de minute de tension maximale. Zygote répond parfaitement à la force primaire du court-métrage : se focaliser sur un aspect précis du cinéma et l’exploiter à merveille. Zygote y parvient haut la main (c’est le cas de le dire).
Mais c’est bien Rakka qui emportera la palme du sujet prometteur que l’on aimerait voir transformé en long-métrage. Là encore, le titre est loin d’être anodin et le contexte social cher à Blomkamp s’épanouit complètement dans cette relecture SF du contexte syrien des années 2010. Comme District 9 évoquait et représentait métaphoriquement l’apartheid en Afrique du Sud, Rakka joue sur l’actualité syrienne pour concentrer son propos, engagé, sur les conditions de vie et l’impuissance totale de ceux qui vivent dans les rues de ses villes. Sigourney Weaver, attachée jusqu’alors au projet Alien 5, campe les traits d’une résistante dans un environnement où tout semble perdu, si ce n’est cette infime lumière d’espoir incarnée par un homme noir torturé.
Le tout souffle un vent de fraîcheur plus que bienvenu de la part d’un véritable passionné qui laisse, en quelque sorte, les clés de son avenir artistique aux mains de ceux qui l’ont porté là où il est aujourd’hui. Blomkamp se reconnaît en eux, il en fait partie intégrante et nous régale sincèrement en nous proposant gratuitement ces superbes courts-métrages qui sauront ravir amateurs de SF et de cinéma en général. En attendant un Volume 2, pour lequel le format reste à déterminer (payant ? développement d’un long par ce biais si le format décolle ?) mais qui devrait rester sur le modèle innovant du 100% online.
Crédit photographique : Copyright Oats Studio