Splitscreen-review Image de Picnic de Joshua Logan

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Picnic

Publié par - 1 septembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

C’est à Carlotta Films que nous devons la lumineuse idée d’éditer Picnic du trop peu connu  Joshua Logan. D’abord metteur en scène de théâtre auréolé de prix divers, il se tourne ensuite résolument vers la réalisation de films lorsqu'il remplace John Ford, souffrant, sur le tournage de Mister Roberts (Permission jusqu’à l’aube). Suivront quelques succès publics notoires avec Bus Stop (Arrêt d’autobus), Sayonara, South Pacific et bien entendu Picnic.

Tous ces films réalisés dans les années 50 témoignent d'une prise de conscience publique qu’un rêve dit américain ne sera pas accessible à tous, bien au contraire. Ces années sont les dernières d’un âge d’or cinématographique qui s’éteindra au début de la décennie suivante pour renaitre dans une version plus lucide et crue avec la formidable génération de cinéastes qui émergera à la fin des années 60.

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Picnic est le reflet direct (comme le fit différemment le "Film Noir") d’une crainte née dans la friabilité américaine révélée par le krach de 1929, confirmée par Pearl Harbor et entérinée par la guerre froide. Le film épouse les contours du mélodrame qui s’adapte parfaitement à l’univers filmique : la destinée individuelle contrariée par la présence du collectif. Hal Carter, (William Holden), en situation sociale précaire, arrive dans une petite ville du Kansas avec l’espoir d’y retrouver son ami de faculté Alan, fils d’un céréalier richissime, et d’envisager, à ses côtés, un futur professionnel radieux. En arrivant, il croise Madge Owens (Kim Novak) et tombe sous le charme (comment faire autrement ?). Il apprend, après avoir retrouvé Alan, que ce dernier est fiancé à Madge et que le soir même, un pique-nique communautaire est organisé pour célébrer la fête du travail.

Les principales qualités du film se situent dans ce regard porté sur le Mid West américain de l’après-guerre, ce paysage « édénique » où les rêves pouvaient encore éventuellement s'incarner quand il s’agissait de conquérir des territoires hostiles et de repousser ce que les blancs nommaient Frontière. Mais la situation politique et économique des États Unis d’Amérique au lendemain de la deuxième guerre mondiale est pesante puisque plombée par les réalités qui découlent des évènements planétaires qui viennent de se terminer. La qualité mélodramatique du film émane de cette navigation incessante entre devoir et désir qui contraint les personnages à faire des choix qui, quels qu’ils soient, laisseront un goût amer. Amour ou situation professionnelle ? L’un ne peut aller avec l’autre dans cette Amérique post seconde guerre mondiale.

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Autre grande qualité du film, le surcroit de sensualité physique qui se manifeste à chaque rencontre entre Holden et Novak et qui contamine tout le paysage, des décors aux acteurs. Le point culminant de l’érotisme latent qui irrigue toutes les scènes du film, se déploie au soir du pique-nique où Holden et Novak entament une danse des plus suggestives non sans rappeler quelques situations observées chez Kazan dans Baby Doll. A ce propos, notons combien les rôles sont inversés tout au long du film : l'objet de spéculations érotiques étant ici bel et bien Holden. Le film interroge le fantasme féminin, et par extension, les fantasmes masculins, à travers le traitement de ses personnages confrontés à l'émancipation du sexe dit faible qui, d'une certaine manière, a également participé à une remise en question des rôles et statuts de chacun dans la société américaine de l'après-guerre.

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Autre phénomène remarquable, l’insertion dans la fiction d’une partie documentaire pour décrire d’une manière assez stupéfiante « l’Americana », cet art de vivre dans une Amérique soustraite aux soucis du monde et où la Nature incarne une sorte de cocon protecteur. Il s'agit de la scène d’introduction au pique-nique qui permet de passer de l'espace intime à l'espace collectif par une mise en lumière d'activités communautaires présentées sans artifice. Ce passage ou chapitre, tant il semble important dans la construction filmique, permet à Logan de maintenir vivace et d'éterniser une image de l'Amérique qu’il sait vouée à disparaitre. Pas de nostalgie mais sans doute un brin de mélancolie dans cette mise en situation et cette préparation au second acte intime puisque la transition est conséquente au point d'incarner une sorte de pivot dramaturgique.

Pour ce qui est de ce Bluray, d’un point de vue technique, c’est une réussite totale : l’image restaurée 2K rend remarquablement hommage à la photographie de James Wong Howe.

Côté bonus, un module passionnant et assez conséquent de 26 minutes intitulé Picnic de la scène à l’écran confie à Marguerite Chabrol le soin d’effectuer une captivante étude des modifications opérées pour transposer Picnic du théâtre au cinéma.

Enfin figure également une bande annonce qui complète cette excellente édition.

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Crédit photographique : copyright D. R.

SUPPLÉMENTS (EN HD)
"PICNIC", DE LA SCÈNE À L’ÉCRAN (26 mn)
Marguerite Chabrol, professeure à l’université Paris 8 et auteure de l’ouvrage De Broadway à Hollywood, évoque la transformation opérée dans Picnic, de la scène à l’écran CinémaScope.
BANDE-ANNONCE

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