Le spectateur/joueur et le Post-apocalyptique
Publié par Simon Chatelus - 11 septembre 2017
Catégorie(s): Cinéma, Jeux vidéo
Quel lien se crée entre le spectateur/joueur, les personnages et l'itinérance de ceux-ci dans une œuvre prenant pour décor un monde post-apocalyptique ? C'est une question qui se pose pour un genre qui se veut souvent alarmant et anticipateur. Quelles sont les informations que le spectateur/joueur apprend de l'association d'un lieu aux personnages qui y déambulent avec ou sans but ? Tentons d’en observer quelques interactions.
Dans un monde post-apocalyptique, l'itinérance devient une nécessité. Celle-ci est motivée par une imminence des dangers extérieurs ou non et des présences hostiles comme des humains revenus au stade d'animal. Mais l’itinérance peut aussi répondre à des besoins vitaux, s'alimenter, se soigner... L'itinérance est alors l'expression d'un pragmatisme, substituant la survie à la notion de vie, préférant l’instinctif au réflexif. C'est donc une vision pessimiste du comportement humain face à un défi comme celui proposé par un monde dévasté.
Cette vision est omniprésente au cinéma et s'exprime sans fioriture dans Mad Max Fury Road de George Miller. Le film met en scène une fuite en avant sans réel autre but que la survie des héroïnes et du héros face aux hommes d'Immortan Joe. Le réalisateur extériorise les états d'esprit à travers la mise en scène des lieux traversés : la tempête de l'esprit, la mutinerie, mais aussi le courage et l'inconscient incarnés à l'écran par le « tsunami » de sable. Mais ce n'est un raccourci des affects possibles (ce qui ne veut pas dire simpliste) que de tels films proposent généralement. Nul doute que dans un tel monde, des gens garderons en eux la faiblesse des émotions et sentiments humains ou les redécouvrirons comme Nux dans Mad Max Fury Road.
Mais le spectateur, dans ces films, reste à distance. Il n’est que rarement invité dans l'intimité des personnages qu'il observe. Il n'a alors qu'une vision partielle ou extérieure de ceux-ci. Se pose alors une question : comment créer une attache affective forte entre le spectateur et le personnage d'un médium ? Il faut dans le cas du "post-apo", mais aussi pour bon nombre d'autres genres, faire appel aux émotions et sentiments primordiaux de l'être humain comme la peur, l'amour, la tristesse voire le souvenir.
Cela se traduit souvent par deux approches. La première réside dans la capacité du spectateur à s'identifier et/ou avoir de l'empathie pour le ou les personnages décrits. On invente alors des protagonistes aux cicatrices psychologiques ouvertes ou dans une phase complexe et compliquée de leur existence faisant appel, par projection ou mimétisme, à des aspects communs de la vie de chacun. Ces personnages survivants seront ensuite confrontés aux lieux qu’ils arpenteront. Chaque lieu se construit autour de la stigmatisation des blessures et des peurs des individus. Le surpassement de celles-ci étant la clé de la survie et la cause de leur besoin d'itinérance. La plus universelle étant simplement la peur de la mort.
Un ressort souvent utilisé consiste à associer deux personnages. Le premier souffre généralement de faiblesses psychologiques quant au second, il affiche généralement faiblesse physique et une psyché encore en construction. C'est notamment visible dans le film La Route de John Hillcoat adapté d'un roman éponyme de Cormac McCarthy. Mais ce principe structure également le jeu vidéo The Last of Us du studio Naughty Dog. Le premier met en scène un père meurtri par la mort de sa femme et son fils tandis que le second met en scène une adolescente en proie à une crise identitaire et un père meurtri par la perte de sa fille.
Ainsi un vieil hôtel décrépit deviendra métaphore de la peur de la séparation pour le duo de The Last of Us quand le père et le fils de La Route devront affronter à la fois peur du noir et la bestialité humaine dans une cave au cœur d’un logis peuplé de cannibales. Des peurs universelles et qui touchent ou ont touché tout expérimentateur de ces œuvres. Chacun y projette sa personnalité, son passif, ses angoisses, sa grille de lecture.
Ainsi, on peut imaginer un monde dévasté et hostile par ses conditions de vie ou par la présence des personnes qui l’habitent, mais peut-on l'appréhender de façon plus viscérale, presque dans une quête « survivaliste » ?
La réponse pourrait bien se trouver dans l'idée de "transfert" qui est assujettie au format vidéoludique. Ici l'idée est de laisser une « page vierge » au joueur, de nier l'idée d'écriture du personnage, du moins l'idée d'une écriture précédant l'expérience de jeu par le joueur.
Pour cela plusieurs choses peuvent être utilisées : des avatars « monotones » sans personnalité, on peut aussi envisager de donner la possibilité au joueur de personnaliser le modèle de son personnage ou alors, enfin, imaginer une caméra à la première personne pour couper tout lien avec l'environnement du personnage joué, celui-ci étant relégué aux seconds plans, le décor du jeu prenant l'entièreté de l'espace visuel proposé par l'écran.
Cette dernière hypothèse est l’élément prépondérant d'un genre de jeu né dans les années 2010, le jeu de survie. Ainsi DayZ, pionner du genre, créé par Bohemia Interactive et toujours en développement mais jouable depuis 2013, inclut les propriétés citées plus haut. Dans celui-ci la trame scénaristique est minimaliste et se résume à un ou deux adjectifs/noms et une région soviétique envahie de zombies. C'est le joueur qui élabore son histoire à travers l’espace créé par les développeurs, les lieux à arpenter nécessairement : hôpital, base militaire et les personnages qu’on y rencontre.
Ainsi les besoins que les mécaniques imposent guident les histoires que les joueurs se créent tels des enfants et leurs petites voitures. Chaque partie est unique, le joueur traçant sa destinée entre les lignes de code et le maillage des modèles 3D du jeu. Chaque lieu visité par le joueur sur la carte du jeu est une expérience singulière apportant son lot de spécificités à l'odyssée du joueur. Une aventure d'autant plus prenante et enrichissante qu'il se l’approprie totalement et qu’elle reflète sa manière de jouer pour devenir un pur reflet de sa personnalité.
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