Pour son septième film, Mathieu Amalric flirte avec les frontières du très tendance genre Biopic. La dimension « biographique » ne servant que de base à la construction du récit, il nous offre dans son Barbara le portrait d’une femme aux multiples visages. Son postulat de départ sème tout de suite le trouble : Jeanne Balibar ne joue pas le rôle de Barbara, mais celui d’une actrice qui incarne la chanteuse pour un film de Cinéma, elle-même mise en scène par un réalisateur interprété par Mathieu Amalric. La description fait sourire, et l’écrire autant que la lire prête à confusion. La rime visuelle et sonore des deux noms, Balibar et Barbara, aidant, le spectateur est lui dès les premières minutes dans l’interrogation, qui suis-je en train de regarder, l’actrice ? La chanteuse ? Oui… mais laquelle des deux ?
La mise en abyme du film est donc instantanée, et multiple… D’aucuns diraient fragmentée. A l’image de la première apparition du personnage du réalisateur fétichiste proscrit dans son bureau, au pied d’un étouffant mur d’images composé de photographies et représentations visuelles de Barbara. L’obsession est là, le mythe doit revivre. Cet énième Pygmalion trouve sa place très naturellement dans la vision kaléidoscopique que propose Mathieu Amalric de Barbara, à laquelle il ajoute un point de jonction entre réel et fictionnel dans une brillante utilisation des images d’archives. Fruit d’un étroit travail de restauration avec l’INA, Barbara juxtapose au sein d’une même scène, et à plusieurs reprises, des extraits de document filmiques et scènes de tournages, comme un aller-retour possible entre passé et présent. Cette renaissance des images et par extension de Barbara convoque l’intime, et la tendresse du regard que porte Mathieu Amalric sur ces deux femmes n’en est que plus touchante.
Mathieu Amalric réussit la synthèse d’un hommage double. Celui d’une passion qu’il voue à Barbara et de la confiance portée à son ex-compagne Jeanne Balibar pour l’incarner. Il ira d’ailleurs jusqu’à représenter le témoignage de cet admiration dans une magnifique scène de concert privé où l’alliance des deux femmes sera cristallisée. De nouveau la frontière entre réel et fictionnel explose lorsque dans un remarquable travelling circulaire, l’unique source de lumière arrière fera basculer le visage de la chanteuse/actrice dans l’ombre, ne laissant apparaître que la découpe de son profil, celui d’une seule et unique femme, celle qu’il aime.
Les spectres du passés se manifestent dans le film en nous plongeant dans une puissante mélancolie portée par l’histoire collective que la France partage avec la chanteuse Barbara et les souvenirs personnels que projette Mathieu Amalric dans son œuvre. Lorsque le tournage du film se termine, l’abandon est réel. Lui et son personnage, en quête de la possibilité d’un retour, iront toquer à la porte de la maison de Nantes, inerte, morte. Le redoutable sentiment d’impuissance qui se dégage de cette scène pointe l’intérêt logique que porte Mathieu Amalric à l’univers du spectacle, comme espace persistant qui offre la possibilité d’un dialogue éphémère mais néanmoins nécessaire avec ses souvenirs.
Crédit photographique : Copyright Waiting For Cinéma 2017 / Roger Arpajou / Copyright Waiting For Cinéma 2017 / Photo : Roger Arpajou Ina - Je suis né à Venise - 1977 Réalisation Maurice – Barbara et Philippe Lizon