Splitscreen-review Image de Detroit de Kathryn Bigelow

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Detroit

Publié par - 14 octobre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Right here, right now

Cinéaste étiquetée comme une peintre de l’Histoire contemporaine des États-Unis avec Démineurs en 2009 puis Zero Dark Thirty en 2012, Kathryn Bigelow semble cette fois s’éloigner de l’analyse sociologique à chaud à travers un récit situé 50 ans en arrière : la tragédie de l’Hotel Algiers, au cœur des émeutes qui ont transformé la 5ème ville américaine en siège militaire courant 1967. Et pourtant, Detroit incarne peut-être l’œuvre la plus actuelle (n’osons et n’espérons pas dire « intemporelle ») de sa filmographie. Projet initié sous l’ère Obama, Detroit sort aujourd’hui en plein regain de tension « raciale »(St Louis, Charlottesville, le shérif Arpaio…) dans une Amérique Trumpienne où le sentiment d’impunité et d’inégalité inspirés par une justice "blanche" s’amplifie de jour en jour.

Bigelow l’annonce clairement en interview, ce film devait être, et aurait déjà dû être, tourné et proposé au plus grand nombre. Une démarche salutaire qui est à souligner car quelle que soit notre opinion sur les États-Unis, force est de constater que les cinéastes américains ont toujours proposé des œuvres qui reflètent les réalités politiques, économiques et sociales contemporaines aux spectateurs. Alors que dans l’hexagone, les films sur l’Indochine, la guerre d’Algérie ou des faits ponctuels comme l’affaire Théo sont rarissimes et quasi-impossibles à financer pour en faire des projets dignes de ce nom, il est appréciable de voir que des productions aux "States" perpétuent cette tradition du travail autocritique. Passons rapidement sur le débat stérile concernant la légitimité d’une blanche à filmer une tragédie touchant des Noirs, débat initié par le critique blanc Richard Brody du New Yorker soit dit en passant. Non seulement une œuvre de cinéma est œuvre de centaines de mains et non d’une seule âme, mais se cantonner à « un film de noir pour les noirs » serait faire preuve d’un sectarisme que dénonce évidemment le long-métrage en question. Mais au-delà de l’importance sociale de montrer le point de vue de tous ceux qui se trouvent du mauvais côté de la barrière, que vaut cinématographiquement Detroit ?

Traiter de ces émeutes devient un sujet parfaitement propice à la « méthode Bigelow » (séquences tournées jusqu’à quatre caméras simultanément, utilisation importante de caméra portée, zoom rapide, cadrage très serré…), proposée ici sur toute la durée du long-métrage. Là où ces deux précédentes œuvres proposaient des moments de pause et de répit (le retour au bercail du personnage principal de Démineurs ou la première partie de Zero Dark Thirty), Detroit ne relâche jamais son étreinte pendant 2h23. Pourquoi ? Les protagonistes sont simplement sous pression en toute circonstance, du trac d’une représentation sur scène jusqu’aux séquelles de cette abominable nuit qui imprègneront les survivants. Une mise en scène marquée qui se prolonge également par l'insertion de documents vidéos d’époque, utilisées par la réalisatrice pour créer une véritable leçon de montage dans la retranscription d’événements réels.

Les comédiens profitent également de cette méthode, permettant de "shooter" de très longues séquences où les émotions et la tension peuvent complètement et littéralement exploser sur les visages. Will Poulter, incroyable en jeune policier totalement embrigadé par la propagande raciste, confesse avoir éclaté en sanglots plusieurs fois pendant le tournage, tant la durée des prises rendait l’atmosphère sur le plateau irrespirable. Son personnage, comme le reste du scénario, propose une finesse bienvenue sur un sujet aussi explosif. Pas de manichéisme ici, chaque protagoniste possède ses motivations et un passé qui définiront leurs actes. Car c’est évidemment au cours de l’insoutenable séquence de l’Hotel Algiers que Detroit devient une gigantesque leçon de cinéma, tant technique qu’émotionnelle de près d’une heure et demie.

Et il ressort à l’évidence que le plus glaçant n’est pas cette nuit de terreur, mais bien le monde alentour qui lui permit d’avoir lieu. A ce titre, l’épilogue constitue le moment le plus repoussant du film. L’injustice la plus totale, en tout lieu, qui se produisit sur cet événement-là et combien de milliers d’autre fois depuis lors. Le film s’inscrit dans cette démarche importante sociale du cinéma, donner au monde la vision de ceux qui souffrent, souffrance du passée et celle d’ici et de maintenant.

Crédit photographique : Copyright Mars Films

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