Déambulation Lumière: J8
Publié par François Vieux - 23 octobre 2017
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
En regardant autour de soi, c’est un tout autre public que celui croisé le restant de la semaine qui est venu ce samedi après-midi assister à l’avant-première de La Forme de L’Eau (The Shape of Water), le nouveau film de Guillermo Del Toro auréolé d’un Lion d’Or à Venise, une première pour un film fantastique. Moyenne d’âge un peu plus basse, discussion autour de la bande-annonce du dernier Star Wars, du dernier Marvel ou des séries TV à la mode si l'on tend l'oreille. Del Toro confirme qu’il attire en nombre ce public que l’on peut hâtivement qualifié de « geek » (ou moins hâtivement : consommateur passionnel de produit culturel industriel de son époque). Cantonner le faiseur d’images mexicain, qui se revendique aussi de ce courant, à cette simple identité constitue évidemment une absurdité tant l’homme a prouvé de multiple fois son aptitude à couvrir un vaste spectre culturel.
C’est là ce qui plaît tant dans ses œuvres, sa capacité à transcender les frontières et toucher le public concerné par le film dit « de genre » comme un public qui n'irait pas forcément sur ce territoire. A travers des allégories, des thèmes et une imagerie parlant au plus grand nombre, Del Toro tend à l'universel. Le conte et la place accordée aux laissés pour compte sont les deux moteurs principaux de sa filmographie. Moteurs qu’il va exploiter à plein potentiel pour La Forme de L’Eau, sorte de Belle et la Bête entre Amélie Poulain et La Créature du Lagon Noir. En pleine guerre froide, une ingénue muette s’attache émotionnellement à une créature aquatique séquestrée dans un centre militaire et va tenter de la libérer de ses entraves. Cette passion débridée cadre parfaitement avec les marottes du réalisateur : tous les « parias » de la société sont de bons personnages écrits et développés (femme de ménage, handicapé, artiste dépassé par son temps et bien entendu une créature non-humaine, tout du moins en apparence) tandis que ceux étant accepté par le système sont des êtres vils et détestables sans justification (Michael Shannon qui cabotine son habituel registre, les autorités américaines et russes).
Ce manichéisme, que l’on pourrait à la limite justifier par cette allégorie du conte, parasite en surface un récit qui fait cependant merveille en son cœur. Surface déplaisante par ce script cousu de fil blanc aux habituels trous scénaristiques propre aux grosses productions américaines (pas de caméra de surveillance dans la salle du monstre, une femme de ménage avec une carte d’accès du niveau d’un général…), cœur merveilleux avec cette mise en scène, cette beauté plastique et cette poésie de l’image qui fonctionne comme toujours chez ce brillant créateur d’univers. Car ce qui fonctionne, ce qui nous transporte dans La Forme de l’Eau, c’est bien cette histoire d’amour impossible. Del Toro a, depuis Crimson Peak, délaissé les sous-entendus sur la question de la sexualité dans l'univers du conte pour les aborder frontalement, ce qui ouvre un vaste champ des possibles dans l'approche et la représentation de ces derniers. La passion charnelle donne lieu à de véritable moments de grâce cinématographique, soutenue par une finesse d'écriture quant à la psychologie des deux amants.
Finesse qui fait cruellement défaut à l’autre versant du récit, porté par l’insupportable cabotinage de Shannon (par ailleurs excellent comédien). Et lorsque la caméra s’aventure au sein de la famille de son personnage, on espère quelques éclaircissements sur ses motivations ou sa psyché comme a su le faire The Man in the High Castle avec le personnage du Obergruppenfürher Jon Smith. Las, ce n’est qu’excuse embarrassante pour que l’audience le trouve encore plus exécrable… Une conclusion néanmoins belle et touchante pour cette dernière séance, toujours sans invité à la présentation malgré une salle de 399 sièges pleine à craquer.
Crédit photographique : Copyright 2017 Twentieth Century Fox