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Ex Libris – The New York Public Library

Publié par - 7 novembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Il est des civilisations où l’Histoire, la grande comme la petite, s'est inscrite et perpétuée par l'art de la sculpture de la pierre. Souvent, ce sont les murs des temples qui, tels de précieux réceptacles, font aujourd'hui encore office d'ouvrages consultatifs. Ainsi le passé se revisite comme lorsqu'on feuillette les pages d'un livre où, texte et images se succèdent pour garder trace d’une existence commune, d’une culture locale ou plus vaste. C’est un peu cette logique qui habite Ex Libris – The New York Public Library de Frederick Wiseman. L’enjeu du film est de taille : il est question d’observer les interactions (et d’en garder l'empreinte) entre une institution, un lieu public aux allures de temple des temps modernes, et les individus qui s’y rendent pour y travailler ou pour en faire l’usage. De ce que nous distinguons de ces échanges, Ex Libris – The New York Public Library file la parfaite métaphore car dans ce qu’il montre du fonctionnement de l’institution et de son utilisation populaire, se dit une histoire plus vaste, plus belle et fondamentale : il s’agit d’observer une construction identitaire. Et non des moindres, puisque cela concerne celle d’un pays édifié par adjonction de disparités culturelles, religieuses et ethniques, les États-Unis.

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Ex Libris – The New York Public Library pose un regard en biais sur l’institution. Nous sommes dans le phénomène inverse à celui mis en place dans National Gallery où il s’agissait de voir/ausculter/comprendre/dévoiler le fonctionnement quotidien d’un musée de renommée mondiale. Ex Libris – The New York Public Library concentre son propos sur l’observation de la mission politique, et son application, de la New York Public Library qui vise à servir les besoins des populations les plus diverses et variées, du chercheur au plus démuni. On notera qu'il y a dans le titre du film, et dans celui de l’institution en elle-même, le mot « public ». Wiseman ne s'y trompe pas et de nous rappeler que tout organisme a but culturel a aussi un rôle social. Celui de la New York Public Library détermine son quotidien et se vérifie ne serait-ce déjà que par ses ramifications géographiques puisque la dite Public Library possède nombre d’annexes réparties sur les différents quartiers de New York.

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Ex Libris – The New York Public Library, par la peinture faite des individus qui fréquentent les lieux, du simple utilisateur Internet à l’universitaire en passant par le musicien ou  le conférencier, n’est pas qu’espace de consultation, qu'un entrepôt où des archives s’accumuleraient pour garantir la survie d’une mémoire culturelle. La New York Public Library est bien évidemment tout cela mais elle est aussi, et peut être avant tout, un lieu d’échanges, de rencontres où se rassemble toute la diversité sociale et ethnique qui incarne l’identité US.

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Les contacts et autres collisions fécondes dont il est question ici impactent la forme filmique. Ce n’est pas réellement nouveau chez Wiseman mais il y a corrélation parfaite entre le style du cinéaste et ce que la nature des lieux nécessitait comme traitement. C’est par ajout, croisement ou parenthèses narratives que le film exprime la diversité des objectifs du lieu. À ce titre, le montage est exemplaire. C’est par l’expérimentation de l’interpolation à distance de scènes disséminées sur la longueur de film que le spectateur, par esprit de synthèse, aura une vision d’ensemble des rôles et fonctions de la New York Public Library. Autre vertu remarquable chez Wiseman, son utilisation de la caméra. Celle-ci, dans son usage, nous permet d’adopter tous les points de vues des « acteurs » du film : chevilles ouvrières de l’institution, direction de celle-ci ou ses utilisateurs sans jamais en privilégier un par rapport aux autres. Tous unis même, et surtout, dans la disparité.

 

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Un film de Wiseman est une entreprise de fouille qui commence par une approche ethnographique. Ex Libris – The New York Public Library nous permet de mesurer de manière quasi sismographique le rôle social d’une institution culturelle par son incidence sur le paysage humain qui la fréquente, de ceux qui œuvrent à son fonctionnement à ceux qui, bien sur, bénéficient de ce travail, le public.

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Par le dialogue qui s’instaure entre l’intérieur de la New York Public Library (son personnel) et l’extérieur de celle-ci (la population new-yorkaise), les frontières se brouillent comme dans At Berkeley où le célèbre campus universitaire faisait figure de microcosme. Cette fois, la figure s’inverse puisque la New York Public Library est (par ses annexes) à l'échelle des proportions tentaculaires de la cité. La New York Public Library est présente partout et agit comme socle social au contraire de l’université californienne qui était dépendante des forces vives extérieures. De fait, la New York Public Library se propose plus qu’elle ne dispose et, par la facilité du contact qu’elle autorise entre l’humain et l’institution, contribue au façonnage d’un paysage social américain que Frederick Wiseman commença à inspecter dès Titicut Follies, son premier film réalisé en 1967. Ex Libris – The New York Public Library se présente à la fois comme un remarquable prolongement des interrogations premières de Wiseman et comme un questionnement contemporain sur les fondements d'une Amérique frappée d'amnésie et repliée sur elle-même. Passionnant.

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Crédit photographique : Copyright 2018 Kool Filmdistribution / Jonathan Blanc / Copyright Météore Films / Copyright Zipporah Films

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