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Block 109 est une bande dessinée française publiée en 2010. Elle est le fruit de la collaboration du dessinateur Ronan Toulhoat et du scénariste Vincent Brugeas. Block 109 est un récit uchronique prenant place durant la seconde guerre mondiale.
Le III eme Reich a anéanti l’Angleterre avec le feu nucléaire. Le régime Nazi se retrouve face à une URSS toute puissante. Dans ce contexte va naître une forme de conspiration au sein du parti Nazi qui se déploie à partir d’armes chimiques transformant les soldats en monstres sanguinaires. Nous suivrons ainsi différents groupes de personnages qui auront un rôle à jouer de près ou de loin dans les événements à venir. Au regard de cette idée originelle, on peut craindre le pire : Zombis et nazis dans la même histoire font rarement bon ménage ! Mais on aurait tort de s’arrêter à cet apriori.
Il convient en effet d'admettre la difficulté d'agréer au scénario et d'accepter l’effort indispensable de concentration et de persévérance que nécessite la lecture. Block 109 ouvre alors vers de nouveaux horizons d'appréhension du conflit et, bien sûr, devient par le biais de la métaphore, un regard acerbe sur notre monde. Mais revenons aux difficultés potentielles rencontrées par le lecteur. Tout d’abord, l’identification des différents groupes de protagonistes et des conflits qui les opposent n'est pas évidente. Il y a énormément de personnages et il convient de bien distinguer les différents partis politiques allemands. L’intention parait ici très claire : il s’agit, par cette complexité, de capter l’attention du lecteur de manière à le contraindre à s’accaparer le récit.
Au-delà de cette complexité, qui permet également de donner un aspect réaliste au récit, beaucoup de protagonistes ne sont que très peu, voire pas du tout, développés. Là encore, il s’agit de forcer le lecteur à modeler, en fonction de ses connaissances, des profils qui nourrissent et enrichissent au final chaque personnage et le récit. D’autant que le dessin n’aide pas à les différencier physiquement, et ce, même quand ces derniers se distinguent par un grade censé les identifier. Les noms à consonance germanique (sachant que ces derniers pourront être remplacés par le grade du personnage) finiront de perturber même les plus attentifs qui, s’ils n’ont procédé au phénomène projectif cité plus en amont, auront bien du mal à lire le contenu dans sa continuité.
Tous ces soucis visuels sont, de la bouche des auteurs eux même, des problèmes dû à leur manque d’expérience. En effet, la qualité du dessin peut rebuter de prime abord mais, in fine, elle contribue à faire de Block 109 une BD à part. Si tout cela est très problématique pour le lecteur dilettante, il serait néanmoins dommage de s’arrêter là.
Block 109 mérite que l’on s’y attarde. Doucement mais sûrement, au fil des 200 pages, quelque chose se met en place. Par le lien qui s’établit avec le lecteur d’une part mais aussi pour d’autres raisons. D’abord esthétiquement, si le dessin est brouillon quant aux traits des personnages, il est plus efficace et précis sur les décors. On pourrait oser un parallèle avec l'impressionnisme tant il est aisé de saisir immédiatement l’atmosphère des scènes de batailles ou de discussions plus intimistes. Certaines images sont immédiatement saisissantes et "impactantes" par l’utilisation de jeux de couleurs et d’éclairages à usage dramaturgique. De plus la scénographie fait preuve de fulgurances en s’inspirant de quelques codes du cinéma. Si, comme évoqué, les personnages ne sont pas tous très « développés », ce n’est donc pas le cas de l’univers de Block 109.
L’uchronie est solide. Les événements qui ont lieu dans le récit donnent, par un souci du détail omniprésent, une sensation de crédibilité qui suscite et attise réflexion. L’œuvre fourmille de dates, d'événements, de noms, de secrets. Tous ces aspects respectent en outre une logique temporelle et une datation qui apporte et solidifie la cohésion du récit, aucun événement n’arrive par hasard. On finit par accepter l’univers, à croire à toutes ces magouilles politiques, à ces différentes visions de la guerre qui s’entrechoquent. Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas ont réussi quelque chose de rare : ils ont créé un champ fictionnel qui est devenu plus probant qu’un certain champ « réaliste ». En détournant la fonction objective des choses et des faits historiques, ils ont permis l’émergence d’un monde faux qui, en même temps, nous apparait l’espace d’une lecture plus vrai que la vérité.
S’ajoute à cela un rythme narratif qui distille tension et suspens jusqu’à l’épilogue qui remettra en question notre sens moral. Cette montée en puissance est d’ailleurs à mettre en parallèle avec le traitement du seul personnage réellement développé et important de Block 109. L’image de ce dernier ne cesse d’évoluer, de se modifier au fur et à mesure qu’il se dévoile en marge d’événements de plus en plus importants. Au final, la conjugaison de ces éléments visuels, narratifs et créatifs deviennent tout simplement fascinants.
Les personnages et le lecteur, sont emportés par cet énorme enchaînement d’événements et d’opérations. Ici pas de héros de guerre qui va boucler l’histoire avec ses seules aptitudes physiques ou habileté technique. Tous sont entrainés dans le courant de l’histoire avec un grand H. Quand bien même s’il s’agit d’une Histoire métamorphosée aux allures de parabole.
Là se situe la grande force de Block 109 : réussir au travers de 200 pages à mélanger imaginaire et réalité historique pour créer une autre seconde guerre mondiale. Au final on se souviendra de Block 109 comme une Bande dessinée un peu complexe à aborder, mais qui questionne et envoute par son atmosphère. La solidité de l’histoire, la richesse de l’univers, et la puissance des interrogations mises en place, font que Block 109, malgré ses soucis, est une Bande dessinée pertinente et ô combien précieuse.
A noter que Block 109 compte 6 spin offs tout aussi intéressants que l’album de base, quant aux deux auteurs, leur dernière série Le Roy des Ribauds s’impose comme un incontournable de la bande dessinée et prouve que ses auteurs ont appris de leurs erreurs pour affiner un style et un travail qui impose le respect.
Crédit image : Copyright Akileos