Splitscreen-review Image du coffret Hitchcock les années Selznick édité par Carlotta Films

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Coffret Hitchcock-Les années Selznick

Publié par - 8 décembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Chez Carlotta Films, cette fin d’année est faste et réjouissante. Après le superbe coffret consacré à Hou Hsiao Hsien, voici que l’éditeur nous propose une nouvelle merveille : un Coffret Hitchcock – Les années Selznick. L’édition propose en versions restaurées HD, les quatre films réalisés par Hitchcock pour honorer son contrat avec David O’Selznick à savoir : Rebecca (1940), La maison du Docteur Edwardes (1945), Les enchaînés (1946) et Le procès Paradine (1947).

Dans l’œuvre d’Hitchcock, ces films sont d’une importance capitale. Ils marquent la transformation d’un cinéaste anglais en un cinéaste américain. Plus généralement, les années Selznick d'Hitchcock sont passionnantes car elles sont exemplaires de la mutation hollywoodienne à venir. Les quatre films de l'édition, et ce qui les accompagne dans ce remarquable coffret, permettent donc aussi d’ausculter, via les rapports créatifs et intimes de ces deux personnalités hors normes, les modifications qui allaient intervenir dans les modes de production de films en Amérique.

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Rebecca

L’ensemble de ce Coffret Hitchcock – Les années Selznick, par sa richesse documentaire et sa qualité éditoriale ressemblerait presque à une étude de cas. La cohabitation de ces deux personnalités et ce qui en a résulté, les quatre films cités, constitue une sorte d’inventaire des raisons qui expliquent en partie comment et pourquoi les cinéastes ont souhaité et réussi à se soustraire (pas complètement certes mais tout de même) au pouvoir des producteurs. Attention cependant aux raccourcis simplistes, nous ne sommes pas passés d’un système régenté par le producteur à un autre système autocratique placé sous les auspices du réalisateur. L’artiste n’est pas devenu subitement le maître absolu des productions de films mais, le cinéma sera désormais le fruit d'une conjugaison de talents plus "collégiale". Certes dans le cas de cette rencontre entre deux des plus gros égos cinématographiques de l’histoire, tout ne fut pas quiétude et sérénité mais, au regard de la production filmique qui en résulte, il était évident que tous avaient à gagner de cette évolution.

Lorsque Hitchcock débarque à Hollywood, il est un cinéaste réputé, reconnu dont le talent n’est plus contredit par grand monde. Il accumule les succès critiques et publics : The Lodger (1926), L’homme qui en savait trop (version anglaise de 1934 qui fera l’objet d’un remake américain en 1956), Les trente-neuf marches (1935), Jeune et Innocent (1936) et Une femme disparaît (1938) constituent un "press-book" des plus attirants. David O’Selznick, comme Thalberg, fait partie de cette génération de producteurs qui envisagent la fabrication de films selon l’adjonction de savoirs a priori disparates. La démarche est simple et résulte d’un calcul qui ne l’est pas moins : l’apport de niveaux d’excellence dans chaque étape de production du film permet la création d’œuvres qui fixeront un standard qualitatif minimal et ainsi garantiront la pérennité d’un système.

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La maison du Docteur Edwardes

Ils étaient faits pour se rencontrer. Hitchcock et Selznick travailleront ensemble. Quatre films donc. Le premier sera Rebecca. Adaptation d’un roman à succès de Daphné du Maurier qui avait tapé dans l’œil de Selznick et qui plaisait à Hitchcock car il augurait d’un succès quasi certain. Rebecca a ceci de passionnant qu’il est le trait d’union entre deux filmographies distinctes qui appartiennent pourtant au même homme. Rebecca est à la fois le premier film américain d’Hitchcock et en même temps son dernier film anglais. Ce qui rend parfois sa construction instable. Le film est un mélange de ce qui faisait la réussite de ses premiers films anglais et de ce qui deviendra sa marque de fabrique lorsqu’il arrivera à maturité artistique avec des films comme Fenêtre sur cour, Vertigo, Psychose ou Les Oiseaux. C’est presque « un exercice de style », un test pour voir s’il est en mesure de s’adapter au système hollywoodien. Le film s’ouvre en terrain connu : un chemin sinueux nous emmène vers un château. Le trajet s’effectue sous l’égide de ce qui a construit visuellement Hitchcock : un assemblage de culture anglaise le tout couplé à une esthétique « allemande » où ombres et lumières dialoguent.

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Rebecca

Les bases sont là. Rebecca permet de voir la mutation à l’œuvre. Avec ce film et cette ouverture en terrain connu, Hitchcock commence à spéculer sur les projections des spectateurs en construisant des univers irréalistes où nous sommes invités à apporter notre lecture des évènements. Le cinéaste anticipe ainsi sur ce que nous incorporons au film. Il le filme et cela n’est pas encore, mais le deviendra, l’objet de la mise en scène. Nous pourrions inventorier les grandes problématiques du cinéma d'Hitchcock et déceler les traces de leurs présences dès ces premiers films américains. Le psychanalytique donc, mais aussi ce qui relève de l'étrange qui, à force de suspens, devient inquiétant. D'autant plus angoissant qu'il apparait dans des situations d'apparence familières. Mais il est une thématique qui apparait dès le titre de ce premier film tourné en Amérique et que le coffret met particulièrement en avant. Problématique qui sera essentielle dans le monde hitchcockien des années 50, le féminin.

Rebecca témoigne d’une approche de la question qui diffère quelque peu de ce qu’Hitchcock nous avait proposé jusque-là sauf en de rares occasions. Le féminin ici devient un miroir du masculin. Il devient un outil réflexif qui permet de mieux cerner les maux qui obsèdent l'homme. A travers la figure absente/présente de Rebecca, sorte d'esprit vampirisant, se dit la part phobique qui a envahi le masculin confronté à l’émancipation du sexe dit faible. Rebecca, et son omniprésence obsessionnelle, est une sorte d’instrument de mesure qui permet d’évaluer le niveau de frustration et autres maux vécus par l’homme. L’allégorie n’est pas définitive et elle aura encore ses exceptions.

C’est le cas dans La maison du Docteur Edwardes. Ingrid Bergman interprète une psychiatre qui tombe immédiatement amoureuse du nouveau directeur de la clinique psychiatrique où elle officie. Il est ici troublant de constater combien celle qui se doit, par sa profession, d’être inaccessible est d’emblée réceptive aux avances d'autrui. Dès la première rencontre, avant même presque un regard échangé, celle qui semblait imperméable aux « charmes » de ses collègues succombe littéralement aux atours de son nouveau patron. C’est que le docteur en question, passablement "malade" par ailleurs, donne chair à ses fantasmes les plus enfouis. Il est une réponse à la fois à ses désirs charnels et en même temps à ses aspirations professionnelles et intellectuelles. Restera, le temps du film, à concilier vie sentimentale et vie professionnelle par l'affrontement d'épreuves qui apparaissent comme autant de rituels initiatiques.

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La maison du Docteur Edwardes

Dans Les enchainés par contre, les scènes s’assemblent et composent un portrait d'une femme qui, par amour pour un homme pas si sûr de lui que cela, accepte une soumission ultime. Des scènes brillantes sur ce point précis jalonnent le film. La scène du baiser qui n’en finit plus lors de leur dernière soirée en amoureux à Rio est exemplaire. Cary Grant étouffe littéralement Ingrid Bergman. Elle ne respire quasiment plus, la scène est claustrophobique. Mais, paradoxalement, alors que la situation peut s’arrêter en de multiples reprises et que la torture peut être interrompue, elle relance la mécanique du déchainement amoureux dans un élan d'attraction/répulsion. Elle s’abandonne et prolonge ainsi le malaise vécu par le spectateur. Nous acquérons ici la conviction que ce jeu de séduction la conduira à sa perte. Et le jeu ira loin. Elle acceptera d'être Mata-Hari et sa trajectoire épousera le tragique.

Le deuxième baiser marquant du film actera une soumission ultime. Après être devenue la femme d’un sympathisant nazi, pour satisfaire aux besoins du contre espionnage américain et sur la demande de l'être aimé, elle intriguera pour organiser une soirée afin de faire la lumière sur ce que mijote son mari et ses acolytes. Cary Grant la rejoint. Ils fouillent tous deux la cave et percent le mystère de ce qui se trame. Le mari (Claude Rains) les surprend. Pour ne pas éveiller de soupçons quant à leur découverte, Cary Grant et Ingrid Bergman improvisent un baiser qui aura des conséquences dramatiques. Bergman cède. Son irrésistible passion pour Grant est impossible à réfréner. Grant arrive à ses fins : il montre à son rival qui est le plus fort. Ingrid Bergman, par son attitude sacrificielle, se condamne. A moins que, dans un geste désespéré, elle ne considère son acte comme une épreuve ultime à laquelle soumettre Cary Grant pour savoir s'il l'aime réellement et s'il la mérite. L'attitude est extrême. Tout cela en apparence pour une cause bien sur mais c'est essentiellement pour lui qu'elle agit ainsi. Et de ce sacrifice, de cet effacement, de cette acceptation de s’en remettre à lui doit surgir un homme nouveau qui deviendra ou non responsable. Grant grandira ou pas, il deviendra un homme ou pas.

Dans Le procès Paradine, le personnage interprété par Alida Valli est plus retors. Au petit jeu de qui manipule qui, il n'y a le plus souvent aucun gagnant. C'est encore le cas ici. Personne ne sort indemne des intrigues sentimentales qui se développent sur fond de meurtre, de procès et de jalousies. Les frustrations de tous agissent comme des éléments destructeurs. Et détruire l'autre, c'est se détruire soi même. A chaque extrémité de la chaine de personnages emportés dans ce tourbillon de désirs inassouvis il y a deux femmes. D'un côté, il y a l'épouse de l'avocat, interprétée par Ann Todd, blonde, lisse sans grandes aspérités mais profondément amoureuse de son mari (Gregory Peck). Et de l'autre, l'accusée défendue par cet avocat, Mme Paradine (Alida Valli) brune, fière et qui joue de ses pouvoirs attractifs sur les hommes. Au milieu de tout ceci, une ribambelle de personnages masculins qui, dans leur désir de dominer le monde témoignent d'une puérilité permanente : de Gregory Peck à Charles Laughton en passant par Louis Jourdan. Valli et Todd interprètent deux visages du féminin. Une formulation alchimique de figures passionnelles qui naviguent entre raisons et passions. Si le film souffre de certaines comparaisons avec d'autres réalisations hitchcockiennes, il s'intègre cependant parfaitement dans ce remarquable travail éditorial ne serait ce que pour vérifier la cohérence de la métamorphose du cinéaste. Ce Coffret Hitchcock - Les années Selznick est incontournable, indispensable.

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Le procès Paradine

Le Bluray restitue à merveille la qualité des restaurations numériques des quatre films. Mention à Rebecca où le travail évoqué sur ce qui se discute entre l'ombre et la lumière est formidable. Le reste du coffret est au diapason. Ce coffret donne un accès confortable et plus qu'estimable à des œuvres qui ont toujours été célébrées par une cinéphilie française acquise à la cause hitchcockienne.

Pour ce qui est des compléments, on appréciera les extraits audio des célèbres entretiens Hitchcock/Truffaut consacrés à chacun des films du coffret. La mise en image de ceux ci est parfaitement gérée avec certaines illustrations bienvenues en certaines occasions comme la célèbre scène de l’apparition de Jourdan pendant Le procès Paradine.

Les interventions de Laurent Bouzereau auteur réputé (à raison) de nombres de documents filmés et écrits sur Hitchcock sont particulièrement agréables. Passionné, infatigable, son amour pour le cinéma d'Hitchcock se communique à chaque mot. Il n'hésite pas à faire part de sa subjectivité sur certains points ce qui humanise le propos. Délectable.

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Le procès Paradine

D'autres "friandises" se répartissent sur les disques dédiés aux films ou sur un disque de suppléments. Notons à ce titre un passionnant complément de 39 minutes sur la genèse du célèbre livre issu des entretiens Hitchcock/Truffaut. On trouve également des Home movies ou un documentaire sur Daphné du Maurier.

Et puis il y a aussi un livre. Souvent, dans ce type de travail éditorial, le livre est un objet quelconque. Là, il fait réellement partie d'une réflexion globale sur les films, sur Hitchcock et sur le cinéma en général. L'ouvrage a été réalisé en collaboration avec Les Cahiers du cinéma. Il distille, au long de ses 300 pages, articles d'époque ou inédits qui reflètent la dynamique créative qui s'est mise en place entre Selznick et Hitchcock. Comme évoqué plus haut, il est également fascinant d'observer par l'intermédiaire de leurs rapports professionnels comment ceux-ci anticipent sur l'évolution des différentes fonctions qui entrent en compte dans la fabrication de films. Hollywood change et ce qui se transforme se mesure par la teneur des échanges entre les deux hommes mais aussi par les analyses proposées sur ces films. Dans un autre registre, on y apprend également une foultitude de choses anecdotiques parfois ou aptes à souligner la profondeur de l’œuvre hitchcockienne le plus souvent. Un vrai livre de cinéma.  Un régal. Cette édition Hitchcock - Les années Selznick concoctée par Carlotta Films est un joyau. C'est même une nécessité.

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Le procès Paradine

Crédit photographique : Copyright D.R.

 

BLU-RAY 1 : REBECCA (NOUVELLE RESTAURATION 4K)
BLU-RAY 2 : LA MAISON DU DOCTEUR EDWARDES (NOUVELLE
RESTAURATION HD)
BLU-RAY 3 : LES ENCHAÎNÉS (NOUVELLE RESTAURATION HD)
BLU-RAY 4 : LE PROCÈS PARADINE (NOUVELLE RESTAURATION HD)
BLU-RAY 5 : LES SUPPLÉMENTS

DÉTAILS DES SUPPLÉMENTS (BLU-RAY 1 À 5)

OBSÉDANTE ABSENCE – SUBLIMINAL – LA CLÉ DU SUSPENSE – RÉMINISCENCES (20 mn / 16 mn / 14 mn / 16 mn)
Quatre entretiens et analyses de Laurent Bouzereau, cinéaste et auteur de Hitchcock : pièces à conviction.

HITCHCOCK/TRUFFAUT (34 mn / 23 mn / 30 mn / 23 mn)
Les quatre films décryptés par Hitchcock et Truffaut au cours de leurs célèbres entretiens, augmentés d’une postface inédite du réalisateur Nicolas Saada.

SCREEN TESTS DE "REBECCA" (9 mn)
Margaret Sullavan, Vivien Leigh et Sir Laurence Olivier font des essais pour les premiers rôles du film.

HITCHCOCK/SELZNICK (23 mn)
Réalisé par Bertrand Tessier, un entretien exclusif avec Daniel Selznick, fils de David O. Selznick.

MONSIEUR TRUFFAUT MEETS MR. HITCHCOCK (39 mn)
La genèse d’un livre de légende et d’une relation singulière, avec les témoignages de Claude Chabrol, Laura Truffaut, Patricia Hitchcock et bien d’autres… Réalisé par Robert Fischer.

DAPHNÉ DU MAURIER SUR LES TRACES DE REBECCA (56 mn)
Nimbée d’étrange et bousculant les conventions, l’œuvre de Daphné du Maurier (1907-1989) a séduit de nombreux cinéastes, Alfred Hitchcock en tête, qui portera à l’écran La Taverne de la Jamaïque, Les Oiseaux et Rebecca, l’un de ses plus célèbres romans. Portrait subtil d’une romancière à la personnalité complexe. Réalisé par Elisabeth Aubert Schlumberger.

HOME MOVIES (36 mn)
Alfred Hitchcock comme vous ne l’aviez jamais vu. Instants en famille ou sur les plateaux de tournage.

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