Splitscreen-review Image de L'intégrale tarkovski édité par Potemkine Films

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L'intégrale Andrei Tarkovski (version restaurée)

Publié par - 1 février 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Après la rétrospective qui lui fut consacrée l’été dernier (voir liens en bas de page), c’est tout naturellement que Potemkine édite un coffret HD intitulé L’intégrale Tarkovski qui, comme son nom l’indique, comprend toute l’œuvre filmique du grand cinéaste soviétique. Tous ses courts-métrages, tous ses longs-métrages et l’excellent documentaire tourné en collaboration avec Tonino Guerra pendant les repérages de Nostalghia en Italie, sont là. Potemkine nous permet d’accéder dans les meilleures conditions possibles à une œuvre entière, à une vie entière car, comme pour de nombreux créateurs, il n’y avait que peu d’écart entre l’homme et l’artiste. Sa vie était son œuvre et réciproquement. Tout Tarkovski en HD nous offre l’occasion de dire à nouveau toute l’admiration que nous avons pour ce cinéaste et, en même temps, nous permet une immersion dans un cinéma en apparence difficile d’accès.

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L'enfance d'Ivan

Au regard de ses conditions d’existence et d’émergence, un film de Tarkovski est déjà en soi une manière de clamer la victoire de l’artiste sur le diktat de la pensée. C’est une ode à la liberté et une façon d’utiliser l’image comme accomplissement métaphorique d’une expérience du monde qui excède les limites contraignantes qui lui sont fixées. Les images de survol qui abondent dans ses films, qu’elles soient rêvées (Ivan), fantasmées (Le miroir) ou marquées par le sceau d’un savoir-faire (Roublev), autorisent les personnages à s’évader, à échapper à la lourdeur des réalités terrestres. Ne nous y trompons pas, il ne faudrait pas voir ici quelque dimension psychanalytique. Ces images consacrent le triomphe de l’esprit sur la pesanteur. À bien y regarder, en ce point, il y a convergence intentionnelle entre Tarkovski et le Suprématisme pensé par Malévitch. Il s’agit bien, par ces images évoquées, auxquelles nous pourrions ajouter le lyrisme des images couleurs qui clôturent Andrei Roublev, d’exprimer la suprématie de l’esprit, de la pensée et du sentiment sur tout ce qui relève du rationnel. Car dans quel espace se situent ces personnages lorsqu’ils volent ainsi ? Qui peut avec précision expliciter la nature de ces survols ? Il est ici question avant tout d’autoriser ces corps à accéder à un espace immatériel. Un espace où la physique disparaît et où le monde nous apparaît sans objet précis.

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Andreï Roublev

En ce point précis, se crée une harmonique de la représentation où fusionnent l’artiste et l’homme. Les personnages de Tarkovski sont à son image. Ils cristallisent l’affrontement entre les contingences historiques qui voient naître l’artiste et sa sensibilité personnelle. D’ailleurs, le protagoniste principal chez Tarkovski n’est jamais le porteur des images du film. Celles-ci sont de la responsabilité de Tarkovski. Pléonasme pourrait-on croire puisque toute image appartient à son créateur avant tout. Mais ici, dans la spécificité première du cinéma de Tarkovski, se crée une dynamique qui échappe aux principes dramaturgiques les plus usités. Un plan chez Tarkovski, par sa durée, par sa logique formelle, est le principal objet de la progression du récit. Un plan pour Tarkovski, c’est un événement. Le film est donc une consécution de faits et d’événements qui, en toute liberté, construisent un fil narratif singulier.

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Stalker

L’intégrale Tarkovski, de par sa nature, est une occasion formidable pour mesurer ce qui dialogue entre l'artiste Tarkovski et le monde dans lequel celui-ci s'exprime. Mais à quoi aspirent donc la société et le monde soviétique contemporains du cinéaste ? Nous savons aujourd'hui que la population ne rêvait pas d'Occident puisque personne n'avait d'information fiable sur ce qui s'y déroulait et comment cela se déroulait. Le peuple soviétique rêvait de savoir, justement, de quelle nature était le quotidien de cet Occident sans passer par le filtre de la censure soviétique. Or un film de Tarkovski est une interrogation et, en cela, il rejoint ses compatriotes. C'est une forme qui se questionne et nous questionne. Un objet qui nous surprend par ses tonalités qui vont à l'encontre des dogmes établis et, d'une certaine manière, libère l'esprit de qui veut bien se prêter au jeu de l'évasion spirituelle proposée. Il est une image qui pourrait résumer l’œuvre du cinéaste : c'est celle de la révélation de la peinture de Roublev à la fin du film au titre éponyme. Dans le monde qui nous est décrit ici, constitué des horreurs les plus triviales, il était possible de voir, de ressentir et donc de produire ce que Roublev a peint. Constat que nous pourrions appliquer aux films de Tarkovski. Comment a-t-il pu réaliser ces films-là dans l'univers et l'atmosphère qui étaient les siens ? Stupéfiante interrogation.

Nous n’avons toujours pas réussi à trouver réponse à la célèbre question posée par Bazin : « Qu’est-ce que le cinéma ? ». Il est un des aspects de cette expression artistique où tout le monde s’entendra : le cinéma est un phénomène qui permet la captation de l’image d’un objet en mouvement (ou non) dans une certaine durée et doté de la possibilité de projection ultérieure, donc de reproduction de l'image captée, à partir d’un jeu avec la lumière. Il est tout de même étrange de constater que les spécificités du cinéma de Tarkovski énoncées plus haut relèvent du temps, de l’espace et du résultat de la conjugaison de ces deux éléments dans la matière filmique. Autrement dit, il sera toujours aussi compliqué de répondre à la question bazinienne mais il est flagrant que l’observation du cinéma de Tarkovski nous apporte des éléments de réponse ou quelques indices qui nous rapprochent de ce qu’est le cinéma.

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Le miroir

L'ensemble du coffret est d’une pertinence totale. La qualité des images est au rendez-vous. De réelles surprises attendent ceux qui avaient découvert l’œuvre dans les salles de cinéma dans les années 80. Les films apparaissent comme rarement vus sans doute depuis leurs sorties originelles. Un vrai plaisir.

Côté compléments, Potemkine n’a pas fait les choses à moitié. Mention aux présentations et analyses proposées par Eugénie Zvonkine qui, avec un enthousiasme communicatif, s’attarde autant sur la genèse des films que sur des anecdotes ou des éléments qui approfondissent notre lecture des œuvres. Intervenante passionnante et passionnée.

On trouve également disséminés sur les disques des entretiens avec des collaborateurs de Tarkovski qui rendent tous compte, à leur manière, de l’expérience que représentait la mise en chantier d’un de ses films. Là encore, c’est passionnant.

Nous avons également droit au documentaire de Chris Marker consacré à Tarkovski ainsi qu’au film de Dmitry Trakovsky réalisé en 2008.

Autre ajout à l'édition, un livre composé d’extraits de l'ouvrage rédigé par le cinéaste intitulé « Le Temps scellé ». Riche idée : ces extraits du texte sont mis en parallèle avec des photos de ses films mais également des polaroïds pris par Andreï Tarkovski ou encore des photos de sa famille. La mise en page est remarquable et la corrélation entre photos et extraits du texte judicieusement pensée.

Magistral et magnifique.

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Nostalghia

 

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Suppléments :
Une journée d'Andreï Arsenevitch un film de Chris Marker (1999 - 55 mn)
À la rencontre d'Andreï Tarkovski un film de Dimitry Trakovsky (2005 - 90 mn)
Mise en scène : Andreï Tarkovski un film de Michal Leszczylowski (1988 - 99 mn)
Erland Josephson, proche un film d’Alexandre Barry (2002 - 16 mn)

Présentations des films par Eugénie Zvonkine (enseignant-chercheur en cinéma)
Nombreux entretiens avec des collaborateurs d'Andreï Tarkovski

Un livre de 140 pages réunissant des textes et photos d'Andreï Tarkovski ainsi que des photos des ses films.
Un livre de 100 pages réunissant les plus belles affiches des films d'Andreï Tarkovski à travers le monde

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