Splitscreen-review Image du Blu-ray de Happy end de Michael Haneke

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Happy End Blu-ray

Publié par - 8 février 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Cette très belle édition de Happy End éditée par TF1 Studio a le mérite de comporter nombre d'éléments aptes à rassasier les fervents admirateurs d'Haneke et de séduire ceux qui rencontrent quelques difficultés à pénétrer l'univers singulier du cinéaste autrichien. Il faut dire que la conception de "l'édition spéciale" permet d'approcher l’œuvre dans sa globalité et, en même temps, d'être raccord avec le contenu du film.

Cette édition de Happy End met principalement en lumière ce qui peut paraître compliqué et qui, simultanément, donne de l'importance à l’œuvre du cinéaste. Ce qui semble difficile pour le spectateur qui aborde pour la première fois le cinéma d'Haneke, et Happy End ne déroge pas à cette règle, c'est de se confronter à une conception particulière de l'objet filmique. Le cinéma d'Haneke se structure autour du refus de l'explication car, selon lui, le film ne peut jamais traduire explicitement la complexe diversité du monde. À partir de ce constat, Haneke ne nous livrera jamais d'éclairage sur les motivations de chaque personnage. Cette absence d'élucidation est la condition première du cinéma d'Haneke et c'est aussi ce qui établit un rapport entre l'image de ses films et celui qui les regarde pour peu qu'il s'investisse dans le film. Pour Haneke, merci à lui, le spectateur est, lorsqu'il voit ou entend, actif et sa participation est toujours vivement sollicitée. Elle fait même partie intégrante de ce qui constitue une œuvre.

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Ce qui se montre ou qui s'écoute, chez Haneke, n'est pas de l'ordre de l'acquisition définitive. C'est une sorte de figure incomplète qui absorbe et restitue ce que le spectateur veut bien y adjoindre. Ce qui se regarde et/ou est audible, véhicule et accepte une part assumée d'artifice : l'apport de l'observateur mais également ce qui relève de la fabrication technique des choses. Car, par définition, le cinéma de fiction est re-création. Le cinéma est un artefact et seule l'admission de ce principe par celui qui crée, le conduit à prendre en compte ce qui sera compris, envisagé, espéré ou consenti par un spectateur alors invité à interpréter ce qui lui est exposé.

Haneke part donc d'un principe simple : l'image, pas sa constitution première, est illusion. Elle ne permet qu'une reconstitution de la réalité puisqu'elle repose sur des règles physiques qui contournent notre appréhension du monde lorsque nous l'observons dans la réalité. L'image, par sa nature ontologique, procède d'une forme de déréalisation du monde puisqu'elle transforme notre perception de celui-ci. L'image met donc à distance le monde. Pour Haneke, voir le monde par le filtre d'une image nous prive d'une chose fondamentale : l'épreuve du réel.

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L'une des questions posées par son cinéma s'exprime justement par la relation entre le réel et ce qui relève de la représentation de celui-ci. Comment l'image représente le réel ? La réflexion se forme dans chaque film à partir de l'idée simple que le spectateur ne voit pas la réalité d'une situation mais une manipulation par l'image d'une situation réaliste. Donc, pour apporter crédit à ce qui s'exprime par l'image et à la réflexion qui en découle, Haneke choisit comme figure étalon de ses enregistrements le plan séquence. La restitution d'un temps proche de celui que nous éprouvons et la sensation de durée induite sont les moyens les plus évidents pour rendre tangible une situation en lui permettant d'échapper, à minima, à une manipulation par l'image.

Cette approche du plan, de l'action, de la matérialité temporelle permet, selon Haneke, une meilleure interaction entre le spectateur et le contenu de la mise en scène. De fait, en instaurant ce principe de temporalité vierge de toute transformation, Haneke établit une relation concrète avec le spectateur de ses films. À partir de cette donnée, la mise en scène va s'ingénier à susciter et convoquer l'imaginaire du spectateur dans le processus filmique. Pour le cinéaste, l'imaginaire de l'observateur est toujours plus fort que l'image qui lui est proposée. Parce que cette image est illusion, parce qu'elle est manipulation. Il s'agit donc pour Haneke de positionner l'observateur dans les meilleures conditions possibles pour lui permettre de projeter sur l'écran ce qu'il appréhende et perçoit du monde et, par conséquent, ce qui résulte de ses impressions.

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C'est d'ailleurs sur ce principe que la violence fait irruption chez Haneke. La violence est pensée comme un concept, un discours et fait l'objet d'une attention particulière. Elle permet, bien sûr, de mesurer l'état de nos civilisations, mais pas seulement. La violence nous parle de notre rapport au monde car, qu'on le veuille ou non, tout acte violent nous relie à celui-ci. La présence de la violence, dans les films d'Haneke, est assujettie à sa volonté de nous soumettre une question double : comment voyons-nous la violence dans les images et comment regardons-nous ces images qui contiennent des actes violents ?

La violence chez Haneke naît toujours dans des situations familières, connues ou, au moins, acceptées comme plausibles par le spectateur. D'ailleurs, l'une des caractéristiques d'Haneke, c'est sa fascination pour ce qui contrarie le rituel du quotidien des personnages et qui participe du vraisemblable évoqué. L'homme s'auto-discipline, se formate pour épouser, de manière mécanique, une logique d'exécution qui l'installe dans une forme de confort. Mais c'est un confort illusoire. Car inévitablement, un événement anodin, perçu le plus souvent comme une agression extérieure, viendra contrecarrer cette forme d'auto-discipline. Le phénomène parasite, banal en apparence, peut, selon le niveau de frustration inhérent aux situations quotidiennes, se transformer en déclencheur d'une réaction incontrôlable qui, dans sa manifestation ultime, relèvera d'une forme de violence physique ou psychique exercée sur autrui. C'est dans ces démonstrations que le cinéma d'Haneke témoigne de sa force. Car, pour que le spectateur ne se perde pas, qu'il saisisse tenants et aboutissants et que celui-ci conserve toutefois un maximum de liberté de penser, il faut une très grande maîtrise de l'appareil cinématographique. Derrière une apparente simplicité de mise en scène se dissimule, en réalité, une construction méthodique du film. Ce qui est en soi, la marque des plus grands.

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Happy End ne fut pas apprécié à la hauteur de ses qualités lors de sa projection cannoise, euphémisme, et cela s'est confirmé lors de sa sortie en salle. L'intérêt de ce Blu-ray ou DVD est de combler ce manque de considération et de pouvoir annuler la forme d'injustice qui a frappé le film. L'édition Blu-ray/DVD de Happy End chez TF1 Studio permet de rendre au cinéma ce qui lui appartient, en l’occurrence, un grand film. Le plaisir est d'autant plus conséquent que l'édition est absolument remarquable et, même si ce n'est pas l'objectif premier du travail d'Haneke, l'image du film est superbe. Séance de rattrapage vivement recommandée.

Côté bonus, cette édition spéciale nous offre un morceau de choix. La pièce maîtresse des compléments d'Happy End est un disque qui contient une Master class enregistrée en septembre 2017. Conduite par Philippe Rouyer (co-auteur avec Michel Cieutat d'un ouvrage remarquable consacré au cinéaste : Haneke par Haneke publié chez Stock), cette Master Class présente une qualité rare : elle peut et doit être vue avant le film car elle ne révèle rien de la trame de Happy End. Elle n'en respecte pas moins l'essence d'une Master Class puisqu'elle liste quelques pistes de réflexions et quelques axes thématiques du cinéma de Michael Haneke.

Un Making Off accompagne le disque du film. Il a pour principale vertu d'expliciter combien Haneke est méticuleux, regarde et vérifie, en démiurge soucieux de cohérence, tous les aspects de la production de ses films. On regrettera toutefois sa durée trop courte pour réellement entrer dans la méthodologie du cinéaste autrichien.

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Crédit photographique : Copyright Les Films du Losange

Contenu de l'édition spéciale : 2 disc
Disc 1 : Le Blu-ray du film avec en supplément le making off (21 min)
Disc 2 : DVD de la Masterclass de Michael Haneke (1h32)

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