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La Prière

Publié par - 28 mars 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

La Prière est le nouveau film, attendu, de Cédric Kahn, réalisateur célébré pour des œuvres comme Bar des rails, L’ennui, Roberto Succo ou encore Les regretsLa Prière nous conte l’histoire de Thomas, jeune toxicomane d’une vingtaine d’années qui, après une overdose d’héroïne, rejoint une communauté isolée dans la montagne et tenue par d’anciens jeunes drogués.

Dans sa première partie, La Prière s’attache avant tout à l’évolution du personnage de Thomas, brillamment interprété par Anthony Bajon (Prix du meilleur acteur à la dernière Berlinale). Dès les premiers plans, on voit ce jeune homme la mine mauvaise, silencieux, tête baissée et marqué par des blessures sur le visage qui laissent supposer un passé chaotique et violent. Ce vécu ne peut s'estomper facilement et, dès les premières séquences au sein de la communauté, les confrontations entre Thomas et les autres pensionnaires témoignent de sa persistance. Révolté par les contraintes de cette nouvelle vie, Thomas laisse surgir toute la rage qu’il a accumulée. Cela ne troublera jamais les autres membres de la communauté et la bienveillance dont ils font preuve témoigne d'une certaine habitude de ce type de comportement. L’attitude de ces derniers contraste avec l’agressivité physique et verbale de Thomas. Le renoncement au monde extérieur est rendu d’autant plus difficile que l’environnement commande de se confronter à soi-même. Pas de répit, pas d’échappatoire, pas d’évasion : juste un affrontement avec soi.

On comprend alors que le cheminement de Thomas vers la guérison sera long et laborieux. Les obstacles à surmonter ne manqueront pas. À commencer par les lois communautaires inspirées des règles monacales : privation de cigarettes, de télévision et une rupture totale avec le monde extérieur. Seule la prière, le travail et la vie en collectivité rythment le quotidien. La régularité de ces pratiques doit fournir les ressources nécessaires aux membres de la communauté pour lutter contre le monde et ses agressions en tous genres. La vie devient un combat, une bataille livrée contre l’addiction. Thomas, comme les autres membres de la communauté, possède un allié, un "ange gardien". Pour Thomas, c'est Pierre (Damien Chapelle), également ancien junkie, qui l’épaule dans cette souffrance qu’est le sevrage à l’état brut.

Par sa discrétion, la mise en scène nous invite à partager cette expérience de renoncement. Il y a peu d’artifices. Le montage est sobre. Les plans sont longs et la seule musique que l’on entend est celle relative aux actions des personnages du film, notamment dans les séquences de louanges et de prières. Scènes qui nous rappellent à quoi les hommes et les femmes de la communauté se rattachent : la prière et le contenu de celle-ci mais aussi et surtout à l'acte de prier. Les cadrages insistent d'ailleurs sur cet aspect des scènes liturgiques. Ils se focalisent sur l’humilité de ceux qui prient et non sur le contenu des prières. C'est la praxis qui interpelle ici et non le support de celle-ci. À l’instar des personnages, la mise en scène de La Prière est humble et criante de vérité.

Dans une seconde partie, après une conséquente ellipse temporelle, on retrouve un Thomas épanoui, sorti d’un long hiver et en harmonie avec la vie communautaire. Ce sont alors des questionnements d’un autre ordre qui s’imposent : celui du rapport à la vie en dehors de la communauté et d'un possible retour à la vie « civile ». Mais La Prière nous propose avant tout, dans cette deuxième partie, un questionnement existentialiste. Une interrogation sur ce qui résulte des différentes épreuves affrontées et surmontées au sein de la communauté. Qu'est donc Thomas devenu au contact de la foi ? La foi est-elle en lui et, le cas échéant, quel homme est-il désormais ? C'est là toute la dialectique convoquée par la collision entre les deux parties de La Prière.

La vie extérieure, qu’est-ce que c’est ? D’abord elle se matérialise par les difficultés qui accompagnent le possible retour de Thomas à une vie « sociale ». La vie extérieure, c'est surtout une multitude de risques qui provoqueraient une inexorable rechute. Une scène de témoignages d’anciens pensionnaires le rappelle : certains ont réussi à surpasser les tentations et à s’établir dans la vie. D’autres ont échoué, écrasés sous la pression des sollicitations extérieures, seuls, abandonnés. L’authenticité de cette séquence de témoignages, puisée dans une écriture documentaire et inspirée d’expériences réelles, gagne l'empathie du spectateur lui-même assailli par les doutes et en proie à ses propres faiblesses.

Ces témoignages, ainsi que la discussion avec la fondatrice de la communauté (Hanna Schygulla), amènent Thomas à comprendre qu’au-delà des bienfaits matériels qu’apportent les règles de l’institution, la vie à l’extérieur est faite de moments solitaires, donc de moments où le risque de rechute est prononcé. La seule chose à laquelle on peut se raccrocher une fois dehors, c’est la foi. Une foi sans cesse évoquée par ces plans de personnages dominés par les Alpes toutes puissantes et dominantes. Le massif alpestre, pas sa démesure, ramène l'homme à sa condition et, en même temps, apaise. La conscience de cette condition et la foi semblent être les seuls moyens d’accepter ce que l’homme est et représente au regard du cosmos.

Mais qu’en est-il de la ferveur de Thomas ?  Douterait-il?

La Prière est un film qui se présente comme un témoignage sur une possible métamorphose chez l’humain accessible au prix d'un travail intérieur. La Prière s'inscrit dans une logique presque documentaire. Le film nous montre les différentes étapes d'une transformation, celle de Thomas. La mutation opérée est d'abord physique et, par effet concentrique, agira aussi et surtout sur l'intériorité mise à nue du personnage. La Prière développe, pour notre plus grand plaisir, un discours d'abord viscéral avant qu'il ne devienne un discours de l’âme.

Crédit photographique : Copyright Le Pacte

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