Splitscreen-review Image du coffret deux films de Jacques Rivette chez Potemkine Films

Accueil > Cinéma > Coffret Jacques Rivette - Potemkine

Coffret Jacques Rivette - Potemkine

Publié par - 3 avril 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Potemkine vient d'éditer en coffret deux films de Jacques Rivette : Céline et Julie vont en bateau et Le pont du Nord (films disponibles également à l’unité). L’occasion de revoir deux œuvres d’un cinéaste affilié directement à la Nouvelle Vague et à une certaine forme d’intellectualisme. Certes, Rivette n’a cessé de produire un cinéma qui, par la cinéphilie qu’il revendique, questionne le langage cinématographique mais il serait réducteur de ne l'aborder qu'ainsi. Car ce serait oublier que Rivette sait aussi être ludique. C'est d'ailleurs ce que nous permet de vérifier l'excellent travail éditorial de Potemkine.

Splitscreen-review Image du coffret deux films de Jacques Rivette chez Potemkine Films

Évoquons dans un premier temps les intentions formelles de Rivette liées au cinéma et à sa nature. Questionner le cinéma, quand on est cinéaste, c’est aussi se questionner soi-même à propos de ce qui nous relie à l'art concerné. Donc, pour comprendre ce qui unit Rivette au cinéma, rien de tel qu’un retour aux origines de l'art filmique. Au début, le cinéma était une illusion optique. Pour faire court, sur ce principe, c’est plutôt l’illusion qui intéresse Rivette ; l’optique est, disons, une donnée secondaire. Cette philosophie sera une constante dans l’œuvre de Rivette. Si le cinéma est une illusion optique, alors, il se doit de servir la connaissance, certes, mais il se doit également d’entraîner le spectateur sur les chemins sinueux, mais ô combien fertiles, de l’imaginaire.

Questionner le cinéma, c’est aussi et peut-être surtout chercher quelques réponses à des interrogations fondamentales sur la syntaxe du langage concerné. En cela, Rivette assume son rôle de précurseur (Le coup du Berger) et/ou médiateur de la Nouvelle Vague qui a pour mérite principal (même si ce n’est pas le seul) de se demander ce qu’est le cinéma et de tenter de répondre à cette question par la réalisation de films.

Splitscreen-review Image du coffret deux films de Jacques Rivette chez Potemkine Films

En éditant Céline et Julie vont en bateau et Le pont du nord, Potemkine ne s'y trompe pas. Les films sont exemplaires des obsessions créatives de Rivette. Céline et Julie vont en bateau traitera de l’illusion, de la cinéphilie chère à Rivette et de tout ce qui a pu la nourrir. Dans ce film sera poussée à l’extrême une des caractéristiques du cinématographe : le cinéma est un art de l’image alors un cinéaste doit, autant que faire se peut, se passer du texte et penser le scénario comme une réponse aux besoins du film plutôt que comme une structure inamovible qui détermine ce que sera le film.

Inévitablement, à partir de ce postulat, le film devient une forme changeante. Car Céline et Julie vont en bateau, par exemple, se construit à partir de ce qu’il suscite comme idées ou pensées chez ses interprètes ou ses créateurs. Ce qui en fait une œuvre mouvante et aléatoire. Chez Rivette, un film se doit de bouger, de s’animer de l’intérieur et est motivé par des pensées multiples et contradictoires. Autrement dit, le film est humanisé jusqu’à fusionner avec le corps et la pensée de ses interprètes et créateurs.

Splitscreen-review Image du coffret deux films de Jacques Rivette chez Potemkine Films

La pertinence du travail éditorial de Potemkine est de permettre le télescopage de deux films en apparence distincts qui pourtant se réunissent ou convergent vers une idée simple : l’impact du hasard sur l’humain. L’un, Céline et Julie vont en bateau, repose sur le principe d’une improvisation née dans les échanges entre les comédiennes pendant le tournage et en dehors des heures de prise de vues. L’autre, Le pont du nord, s’accorde avec le ludique d’une situation où se croisent des individus lancés dans des quêtes différentes et réunis par une finalité commune. Dans ce dernier film, le hasard qui semble gouverner aux trajectoires de chacun s’apparente à ce qui régit certains principes de jeux de plateau.

L’édition des deux films permet de mesurer combien le cinéma de Rivette repose sur une architecture à double niveau : une extrême maîtrise des situations qui pousse vers une artificialité théâtrale et, en même temps, une liberté octroyée à tous les participants au film. De ce fait, la mise en scène n’est plus la matière même du film. La réalisation n'est pas non plus soumise aux seules volontés démiurgiques du créateur principal et elle se laisse pénétrer d’un élan commun à toute l’équipe de tournage.

Splitscreen-review Image du coffret deux films de Jacques Rivette chez Potemkine Films

Les œuvres deviennent des réseaux narratifs aux ramifications imprévisibles. Ce schéma formel, lorsqu’il rencontre frontalement l’artifice théâtral, contredit l’idée de nous maintenir dans notre rôle de spectateur. C’est parce que la jonction qui coordonne la maîtrise apparente des scènes, et leur potentielle improvisation, sert justement de capteur d’attention. Nous oublions que nous sommes spectateurs non pas parce que nous abolissons la frontière qui nous sépare de l’écran par un jeu de projections intimes mais parce que la forme même du film nous contraint à échafauder des hypothèses qu’il nous reviendra de confirmer ou d’infirmer au fil des images.

Splitscreen-review Image du coffret deux films de Jacques Rivette chez Potemkine Films

Les films sont donc des jeux de piste qui se plaisent à porter leur propre négation. Les hypothèses s’annulent, les priorités d’une scène ne seront nullement celles de la suivante tandis que les suppositions ne seront pas validées ou invalidées dans la continuité filmique. Elles le seront plus tard, peut-être. Un film de Rivette, c’est une apologie de l’irrésolution. Ce qui, en soi, rend les films réjouissants car toujours incertains et étonnants. Nous avons beau connaître les règles d’un jeu, cela n’en détermine pas pour autant les aléas que chaque partie ne manquera pas de convoquer. Ainsi en va-t-il de ces deux films.

Ce qui est encore plus troublant, c’est que généralement, lorsque l'on revoit un film, on pense le connaître. Pourtant, l'œuvre de Rivette prend, elle, un malin plaisir à nous surprendre et ne cesse de se renouveler en se développant sur des territoires insoupçonnés. Là réside le plaisir non dissimulé de la redécouverte.

Splitscreen-review Image du coffret deux films de Jacques Rivette chez Potemkine Films

Rendons grâce à Potemkine pour la qualité des images constatées sur les disques. Les restaurations sont splendides et ont le mérite de combiner avec pertinence Haute Définition et grain filmique d'époque. Épatant.

Pour ce qui est des suppléments, il y en a pléthore.

Nous mentionnerons la complémentarité globale des interviews qui participent de l'extrême pertinence éditoriale.

Pour ce qui est de Céline et Julie vont en bateau, les interviews de Rivette et des actrices du film attirent l'attention. Forcément. Mais pour avoir témoigné de notre scepticisme quant à Pacôme Thiellement dans sa présentation du film de Wiene, Le cabinet du Docteur Caligari (voir lien ci-dessous), il nous revient ici de souligner plus particulièrement la qualité de son intervention à propos de Céline et Julie vont en bateau. Elle est exemplaire de la complexité qui touche tout critique : savoir trouver dans le lien affectif qui peut se tisser entre l'individu et une œuvre, la matière nécessaire pour en vanter les qualités objectives.

Les compléments consacrés à l'autre film, Le pont du nord, trouvent leur pertinence de leur complémentarité. Les modules réunis pour les besoins de cette édition font la part belle à l'équipe du film. De ce point de vue, nous ne cacherons pas notre attachement aux entretiens de Martine Marignac et Catherine Quesemand qui, dans leur manière de s'exprimer, nous permettent de revivre à la fois le tournage rocambolesque du film et sa post-production. La contextualisation des méthodes de tournage semble décrire un autre temps et une autre dimension.

Splitscreen-review Image du coffret deux films de Jacques Rivette chez Potemkine Films

Crédit photographique : Copyright Les Films du Losange

 

Splitscreen-review Jaquette de l'édition Bluray de Le pont du nord de Jacques Rivette éditée par Potemkine

DVD DE SUPPLÉMENTS POUR CHAQUE FILM.

CÉLINE ET JULIE VONT EN BATEAU
• Présentation du film par Pacôme Thiellement (28 min)
• Interview de Jacques Rivette, 2004 (20 min)
• Interviews des actrices, 2004 (33 min)
• Hommage à Juliet Berto, 2004 (7 min)
• Entretien avec Bertrand Mandico (16 min)
• Entretien avec Lucile Hadzihalilovic (13 min)

LE PONT DU NORD
• Interview de Bulle Ogier, actrice, et de Caroline Champetier, assistante du chef opérateur (26 min)
• Interview de Martine Marignac, productrice (26 min)
• Interview de Georges Prat, ingénieur du son (14 min)
• Interview de Catherine Quesemand, assistante monteuse (16 min)
• Interview de Pierre Wallon, régisseur (17 min)
• Entretien avec Jean Narboni, critique et historien, et Bamchade Pourvali, critique et universitaire (27 min)

SUPPLÉMENT UNIQUEMENT EN BLU RAY
• Paris s'en va de Jacques Rivette (32min)

Partager

à lire aussi