Splitscreen-review Image de Everybody knows de Asghar Farhadi

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Everybody knows

Publié par - 10 mai 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques, Expositions / Festivals

On l’a souvent dit et répété, la qualité la plus évidente d’Asghar Farhadi se constate dans son savoir-faire scénaristique. Cela lui vaut d’ailleurs d’être sous-estimé par certains. Ce qui est un peu paradoxal parce que si la dramaturgie se développe de manière aussi efficace, elle le doit à une mise en scène qui s’adapte aux intentions du cinéaste. Farhadi n'est pas un cinéaste "spectaculaire" mais un cinéaste de l'essentiel. Ses détracteurs seront ravis car Everybody knows n’échappe pas à cette règle.

Puisque c’est ce travail sur le scénario qui est avancé en premier lieu pour définir ou limiter, selon quelques esprits chagrins, le cinéma de Farhadi, tentons d’extraire quelques vertus de cette caractéristique. L’art de l’écriture, osons le mot, de Farhadi se vérifie d’abord par son aptitude à déjouer les hypothèses formulées par le spectateur à la lecture des scènes. Jusque-là, Asghar Farhadi développait des procédés narratifs qui trouvaient leur cohérence dans l’écart qui sépare ce qui semble motiver les personnages de ses films de ce que le spectateur sait de ces motivations. Nous ne sommes pas très éloignés, dans le cas présent, de ce que nous avons découvert dans le film de Martin Mc Donagh, 3 Billboards, les panneaux de la vengeance. Ce qui est nouveau dans Everybody knows, c’est que le film ne se structure pas tant autour de la résolution des mystères qu'il pointe mais plutôt dans la manière de révéler les vérités enfouies en chacun des personnages.

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Dans les précédents films de Farhadi, ce qui appartenait aux projections, aux prévisions, aux spéculations du spectateur était presque systématiquement invalidé par la dramaturgie sans pour autant faire usage de retournements de situations improbables. Dans Everybody knows, tout est à peu près prévisible puisque nous sommes alertés depuis le film, par le cinéaste, sur ce qui doit faire l’objet de notre attention. Ici, ce qui est au cœur du travail d’écriture et de la mise en scène, c’est le rôle et la position du spectateur qui se forment dans le rapport que ce dernier entretient avec les images du film. Nous trouvons-là un lien avec l’une des qualités essentielles du cinéma d’Hitchcock. D’autant que les situations décrites dans l’œuvre de Farhadi, qu’elles se déroulent en Iran, en France (Le Passé) ou en Espagne comme dans Everybody knows, relèvent toutes d’un sujet universel : un couple en situation de crise. Hitchcock déclarait que le meilleur scénario qui puisse être se devait de raconter une rencontre, et ce qui en découlait, entre un homme et une femme. Ce n’est pas la rencontre entre un homme et une femme que décrit Everybody knows mais ce qui en résulte.

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D’ailleurs, si nous fouillons un peu plus en profondeur, nous trouverons quelques points de contact particulièrement intéressants entre Farhadi et Hitchcock. Des histoires à suspens, une dramaturgie indexée sur le principe d’une enquête, des issues scénaristiques qui laissent présager que tout n’a pas été résolu, etc. Il est troublant de constater avec Everybody knows que certaines parentés entre les deux cinéastes sont plus visibles : un clocher, des inscriptions sur les murs qui ne permettent pas au passé de s’estomper, un mécanisme d'horlogerie qui lance le compte à rebours du désastre, une jeune fille qui, dans un acte inconsidéré, active les cloches qui sonnent à une heure impromptue pour inviter les fantômes du passé à ressurgir afin de phagocyter concrètement le présent de tous.

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Everybody knows commence par des retrouvailles joyeuses. Pour le mariage de sa sœur, Laura (Penélope Cruz) revient avec ses enfants dans son village natal au cœur d’un vignoble espagnol. Les mariages, nous le savons, sont, comme les enterrements, des moments où se cristallisent toutes les problématiques familiales. Si des tensions sont perceptibles, un événement brutal va bouleverser l’équilibre communautaire et faire ressurgir un passé depuis trop longtemps enfoui.

Comme toujours chez Farhadi, la narration s’architecture autour d'un prétexte qui a pour but d’exhumer les frustrations les plus destructrices tapies au plus profond des êtres. Dans Everybody knows, dès l’arrivée de Laura, le paysage humain se dessine par touches impressionnistes : des personnages viennent s’insérer dans l’image filmique de manière à irriguer de leur singularité la dramaturgie centrée sur Laura. Une fois l’univers du film établi, le spectateur s’installe dans une sorte de confort qui pourrait lui permettre de s'identifier aux protagonistes. C’est, dans une certaine mesure, ce qui se produit jusqu’au surgissement d’un élément narratif qui va perturber la linéarité escomptée du récit : une disparition.

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C’est cet événement qui va permettre la révélation de ce que, le titre nous le dit, tout le monde sait. En ce cas, nous revenons à l’essentiel : ce n’est pas ce qui se révèle qui importe mais comment cela se révèle.

Dans Everybody knows, l’art de Farhadi échappe une nouvelle fois à l’écueil du jugement pour respecter la nature profonde de ses personnages et l’humanité qui se dégage de leurs actes ou décisions. Avec ce film, il procède d’une observation que l’on a souvent limitée aux protagonistes de ses films et qui s’étend, cette fois, avec force, vigueur et plus d’évidence, au spectateur. Sur ce point, Everybody knows participe d’une exploration de la condition humaine qui excède les simples limites du cadre filmique pour étendre son étude au-delà des murs de la salle de cinéma. En cela, Everybody knows est une œuvre précieuse.

Crédit photographique : Copyright Memento Films Distribution

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