Splitscreen-review Image de Profession : reporter de Michelangelo Antonioni

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Profession : Reporter - Carlotta Films

Publié par - 22 juin 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Nombreux sont les cinéastes contemporains à revendiquer une influence, une admiration et même parfois une filiation thématique ou esthétique avec Michelangelo Antonioni. Carlotta Films consacre en ce mois de juin un coffret ultra collector à un film qu’il a réalisé en 1975, Profession : Reporter. Impossible de se soustraire au plaisir de revenir sur ce cinéaste qui fut l’une des figures de proue du cinéma dit de la modernité et qui fait l’unanimité, encore et toujours, chez les cinéastes contemporains

Pour aborder l’œuvre d’Antonioni, il faut prendre un élément conjoncturel. Ce qui s’exprime en premier lieu dans le cinéma d’Antonioni est le résultat d’une rencontre fortuite entre le cinéaste et les réalités intellectuelles qui occupent l’Occident dans les années 50/60.

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Il en découlera, stylistiquement, une alternance entre une sobriété esthétique et une intensité liée à des moments filmiques qui relèvent de situations extrêmes. Il est toujours question d’une métaphysique chez Antonioni. Son cinéma est marqué par la volonté de percer les mystères de l’existence qui, souvent, est associée à une suite de rituels mécaniques et déshumanisés. Pour comprendre ce qu’ils font là, pour savoir s’ils ont une importance aux yeux des autres, les personnages d’Antonioni repartent de zéro. Il leur faut reprendre au commencement et se contraindre à une transgression du cérémonial qui régit le quotidien pour trouver des réponses aux questions qui ne cessent de hanter les personnages. Là se situe le point de départ d'une interrogation sur l'essence de l'être, sur la vie et, par conséquent, de la mort.

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Antonioni fait partie de ces cinéastes européens qui ont très vite saisi que le monde, dans les années 1950, ne peut plus se satisfaire de fonctionnements sociétaux calqués sur les siècles précédents. Les différentes guerres mondiales du XXème siècle ont fait leur œuvre et, forcément, il en subsiste des traces qui se répercutent sur les comportements humains. Antonioni sait que la nature de ces modifications ne peut s’appréhender qu’en auscultant justement ce qui a changé. Autrement dit, le cinéma d’Antonioni revêt une dimension anthropologique qui permet d’apprécier ce qu’est devenue la réalité du monde sous l’impact des agissements humains et comment l’homme s’acclimate des changements qu’il a lui-même provoqués. Les mutations dont il est question ici sont le fait autant de découvertes scientifiques majeures qui modifient notre rapport physique aux choses qui composent notre environnement que de découvertes historiques ou sociologiques.

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Point de dérogation pour Profession : Reporter, le film répond parfaitement à ce principe. Il y est question d’un individu qui décide de changer d’identité pour se libérer de ce qui le structure et qui l’emprisonne (passé, vécu, transmission culturelle et familiale). Ce qui anime ce choix résulte d’une envie ou d’un besoin qui peut se résumer par la volonté d’accéder à un état ou à un sentiment de liberté. Mais encore faut-il savoir quelle forme pourrait revêtir cette aspiration philosophique.

Dans Profession : Reporter, David Locke (Jack Nicholson) erre dans un monde qui répond désormais à des règles qui lui échappent. Pour trouver des raisons à son existence et à la poursuite de celle-ci, son travail ne suffit plus. Le titre du film est sans équivoque puisqu’il réduit le personnage à une fonction, une profession, il est un reporter. Il a pour mission de rendre compte d’un état du monde. Oui mais à qui ? Pour qui ? Et comment existe-t-il, lui, en tant qu’individu dans cette logique ? Comment s’acquitter de cette mission alors qu’il peine à résoudre le mystère de sa vie et de ce qui constitue son être profond ? Autant de questions qui viennent s’ajouter à celle que nous nommions à propos de la liberté.

Pour David Locke, être libre, ce pourrait être rompre avec tout ce qui touche à un contexte social, un contexte politique ou civilisationnel et même affectif. Se décontextualiser devient la condition nécessaire pour envisager d’exister sans s’appliquer à répondre à un code de conduite défini par une morale extérieure aux volontés et aux choix du personnage.

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Les personnages d’Antonioni sont tous marqués du sceau de l’impossibilité d’habiter, c’est-à-dire de vivre, la réalité du monde qui les entoure. C’est aussi le cas de David Locke dans Profession : Reporter. Le comportement qu’il adopte fait l’objet d’une improbable quête qui pourrait se résumer par le souhait ou le besoin de trouver un sens à l’existence. L’enjeu de cette ambition n’est pas anodin puisqu’il y va de la survie du personnage.

Alors Locke fait le choix de l’expérimentation de l’impossible. Un peu à la manière de Isak Borg dans Les fraises sauvages de Bergman qui revisite son passé lors d’un trajet ré-initiatique. Cela commence par l’étude philosophique et physique des principes premiers tels que vie et mort. Son voisin de chambre décède subitement d’un arrêt cardiaque. David Locke décide alors d’usurper l’identité du défunt. Il devient alors un mort qui marche, un mort qui visite le monde avec le recul du sage, le recul de celui qui sait. Parce que cette fois, David Locke, devenu Robertson, possède quelques certitudes. La principale tient dans la matérialisation de son incapacité à saisir l’essence du réel qui l’entoure. Le désert, au début de Profession : Reporter, est archétypique, à l’image du brouillard d’Identification d’une femme, du climat mystérieux qui enveloppe les personnages d’Antonioni. Le désert, dans l’immensité philosophique qu’il propose, peut être vu comme un miroir qui reflète la prise de conscience de ne pouvoir interférer avec le monde ou comme une inaptitude à pouvoir s’y intégrer.

Là, naît une forme de mélancolie : si le personnage fait le constat de son incapacité à habiter l’espace commun, la réciproque est vraie également, le collectif se passe très bien de Locke. La disparition de David Locke ne freine même pas la marche du monde. Il est, et c’est là certitude qu’il acquiert lorsqu’il change d’identité, une figure de l’inutilité si ce n’est pour quelques individus motivés par des raisons affectives.

Profession : Reporter baigne dans une atmosphère qui fait aussi la part belle à l’émanation du pressentiment, à l’éveil de l’instinct du spectateur. Le film fait l’apologie de la vie secrète des choses. Antonioni oriente ici son art vers des sentiments ou des états de l’esprit et de l’âme : mélancolie, mystère ou encore méditation. Autant de caractéristiques, très cérébrales, qui permettent de construire des univers où le spectateur, au-delà d’un simple décryptage de Profession : Reporter, part à la recherche de lui-même.

Car c’est à une découverte ou une re-découverte que nous convie Antonioni avec Profession : Reporter, celle de soi par l’intermédiaire d’une rencontre avec des pensées dissimulées ou enfouies au plus profond de l’inconscient.

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Pour ce qui est de la copie présente sur le Blu-ray, elle est irréprochable et le travail éditorial est à l'image de ce que fait traditionnellement Carlotta Films. C'est sérieux, appliqué, riche et, souvent, passionnant.

Pour les suppléments, deux ont particulièrement retenus notre attention. D'abord, Cinéma, cinémas : Antonioni la dernière séquence qui, pendant 14 minutes, expose les intentions du cinéaste quant à cette scène qui a fait couler tant d'encre. Il est vrai que le plan séquence qui s'inscrit dans cette séquence qui clôt le film est complexe. Mais la complexité technique n'est pas une prouesse gratuite, bien au contraire, elle est une réponse aux intentions filmiques d'Antonioni. Là se vérifie ce qui fait d'un individu un cinéaste et un artiste : savoir s'accommoder de réalités physiques compliquées et se donner les moyens de les contourner pour rendre compte de ce qui anime la pensée d'un créateur.

Autre complément particulièrement attrayant, Michelangelo Antonioni, le regard qui a changé le cinéma. Il s'agit d'un documentaire réalisé en 2001 qui, pendant 56 minutes, revient sur la carrière du cinéaste. Certes, le document n'aborde pas l’œuvre en profondeur mais il a le mérite de la parcourir dans sa globalité et d'en esquisser les contours.

Notons également la présence d'un livre dont le contenu, comme dans les derniers coffrets ultra collector de Carlotta Films, a été confié à un tiers qui fait office de référent sur le sujet concerné. C'est Dominique Païni qui a été missionné ici pour collecter un ensemble de textes inédits ou des archives critiques autour de Profession : Reporter afin de constituer un ensemble irréprochable et d'une richesse conséquente. Remarquable.

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Crédit photographique : Copyright 1975-2003 Proteus Films, Inc. Tous droits réservés.

 

LES SUPPLÉMENTS*

. ANTONIONI À PROPOS DE "PROFESSION : REPORTER" (5 mn)
Réalisation Gérard Dupagny © 1975 – Ina

CINÉMA CINÉMAS : ANTONIONI, LA DERNIÈRE SÉQUENCE (14 mn)
Réalisation André-Sylvain Labarthe © 1985 – Ina

. "ANTONIONI VU PAR ANTONIONI" (1978 – Couleurs – 21 mn)

. "MENSONGE AMOUREUX" (1949 – N&B – 12 mn)

. "MICHELANGELO ANTONIONI, LE REGARD QUI A CHANGÉ LE CINÉMA"
(2001 – Couleurs et N&B – 56 mn)

. GÉNÉRIQUES DU FILM EN ANGLAIS OU EN ITALIEN
(EXCLUSIVITÉ BLU-RAY)

. BANDE-ANNONCE 2005
* Suppléments disponibles en Blu-ray™ et DVD.
(En HD uniquement sur la version Blu-ray™)

UN LIVRE INÉDIT DE 160 PAGES (INCLUS 35 PHOTOS D’ARCHIVES)
"L’AVENTURE DU DÉSERT : PROFESSION : REPORTER"
DIRIGÉ PAR DOMINIQUE PAÏNI
UN VISUEL EXCLUSIF CRÉÉ PAR ROBERT SAMMELIN

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