Splitscreen-review Image de A brighter summer day d'Edward Yang

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A brighter summer day

Publié par - 21 décembre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

A brighter summer day a été écrit et réalisé d’après une histoire vécue de près par le réalisateur, Edward Yang, pendant ses années de lycée puisque l’acteur principal du drame était dans le même établissement scolaire que le cinéaste. A brighter summer day est un fait divers. Il s’agit d’un récit construit autour du meurtre d’une adolescente perpétré par un jeune garçon. Ce qui intéresse Edward Yang ici, on le comprend dès le début du film, c’est le contexte d’émergence de l’homicide. L’époque qui a vu ce crime se dérouler est fondamentale à Taïwan : la dramaturgie et son contenu concret annoncent les changements sociétaux à venir et cristallisent les tensions palpables dans la société taïwanaise de l’époque.

Le fait divers est, par définition, un miroir social ou un état des lieux. C’est aussi pour Edward Yang le moyen d’accepter le souvenir diffus d'une réalité taïwanaise éprouvée sans réellement la comprendre et d’en faire l’objet d’un film comme pour exorciser les vieux démons ou, mieux, de rendre hommage aux générations précédentes qui ont vécu cette triste période.

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A brighter summer day développe plusieurs axes narratifs qui, tous, rendent compte de ce temps complexe, les années 60, qui augure des mutations qui seront effectives à Taïwan ultérieurement. Il faudra pour cela attendre les années 80. Outre les crispations qui découlent du climat politique instauré par une gouvernance qui prône les vertus d'un autoritarisme intrusif, Yang évoque aussi, par association d'idées, les tensions entre les Taïwanais de souche et les émigrés de Chine continentale, les conflits intergénérationnels ou encore les frustrations individuelles.

Deux bandes rivales, deux visions de Taïwan, deux communautés, deux âges s’opposent dans A brighter summer day. Au milieu, maltraité par les flux communautaristes et les affects inassouvis, Xiao S’ir, adolescent réservé, naïf et transi d’amour, dès qu’il la voit, pour la belle Ming (la favorite de l’un des chefs de gang). Jusque-là, Xiao S’ir s’était tenu éloigné des activités des clans mais les sentiments éprouvés pour Ming enclenchent une mécanique qui transformera le jeune homme.

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On l’aura compris à l’énoncé de ce court synopsis, les personnages suivent des trajectoires qui seront contrariées à un moment ou un autre par la présence du communautaire (les bandes rivales, les autorités, les familles, le voisinage, etc.). C’est donc dans ce rapport entre l’intime et le collectif que l’essentiel des intentions se trouve. Aussi, la réalisation ne cesse de juxtaposer les éléments qui appartiennent au privatif et au public par l’adoption de figures stylistiques qui traduisent les points de convergence entre le drame humain et le tragique qui est associé à la population taïwanaise.

Pour cela, la mise en scène fait du plan séquence la figure de proue du film. Le plan séquence est, pour faire simple, la matière même du film. Le plan séquence établit un rythme filmique, il définit la temporalité des séquences et l'étendue de chaque plan détermine et mesure l’impact des décisions collectives sur l’individu. Les fondements de la durée des plans reposent sur un ressenti lié à tout ce qui touche de près ou de loin la mémoire et ce qui résulte du souvenir : la douloureuse expérience du regret, l’amertume, la rancœur, l'échec et les frustrations sentimentales.

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Le plan séquence sur lequel défile le générique d’ouverture est superbe et exemplaire de la démarche formelle de Yang. Une perspective linéaire indexée sur le tracé d'une route. La profondeur de champ est nette et la position de la caméra laisse deviner des chemins adjacents que nous ne verrons pas explicitement. Tout semble écrit, immuable. On ne peut modifier le cours des choses, nous dit le plan. Cela s’applique à l’espace temps comme à l’espace topographique. La question du temporel est d’ailleurs la substance même du film puisque nous savons dès la première scène que nous sommes dans les années 60. Donc, la perception du temps se signale par la construction des cadrages et le choix du plan séquence. Ce dernier impose une rythmique au film et se place au centre des préoccupations de la mise en scène. Les années 60, le passé donc. L’idée du cadrage de ce plan séquence indique qu’on ne peut changer ce qui fut. Le passé est un temps que l’on peut (doit) revisiter pour tenter de comprendre la nature du présent. La vie qui défile sur l'écran s’écoule selon une cohérence qui nous échappe, qui semble nous fuir pour se réfugier hors des limites du visible définies par le cadre.

La profondeur de champ nette permet la cohabitation de différents niveaux de réalité : celle d'un temps, donc, celle d'une spatialité et, bien sûr, celle d'une animation humaine. Tout ce qui palpite dans le cadre semble appartenir à un ensemble de données objectives extérieures à la fiction introduite par les premiers plans du film. Ce qui se dit dans ce plan séquence, ce qui se raconte, dessine l’essence d’une réalité qui appartient à l’identité de la nation taïwanaise.

Soudain, au loin, apparaissent les personnages que nous avons découverts dans la séquence qui précède le générique. Ils traversent les différents niveaux de représentation de l’arrière-plan au premier plan. Ils relient ainsi la réalité taïwanaise à la vérité fictionnelle.

Cette traversée des espaces est également le reflet d’une incapacité à habiter pleinement l’espace commun. En produisant une gestuelle en désaccord avec les besoins ou attentes du collectif, les deux personnages se singularisent et s’isolent. Cela traduit aussi, d’une certaine manière, la difficulté des émigrés venus de Chine continentale à s’intégrer au tissu social qui se défie d’eux et, par extension, la difficulté de Xiao S’ir à se positionner dans le monde : ses attitudes dans la sphère privée répondront (nous le découvrirons au fil des images) en tous points à son comportement en société et plus particulièrement en milieu scolaire. Xiao S’ir adopte une conduite qui relève dans un premier temps d’une attitude soustractive. Le seul élément tangible qui le relie à l’espace filmique est le contexte global de la dramaturgie.

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A brighter summer day est aussi un film sur le regard donc un film sur le cinéma, ce miroir qui permet d’ausculter en profondeur les qualités ou les maux d’une société. Le film s’interroge alors sur la possibilité d’approcher au plus près une vérité rendue concrète par la dimension vériste des images (plan séquence, profondeur de champ nette, etc.). Taïwan, telle que montrée par Edward Yang, semble baigner dans les ténèbres. En cela, A brighter summer day est raccord avec la réalité de l’époque qui sert de décor à l’action. Il y aura d'ailleurs tout au long du film un usage particulier de phénomènes récurrents sur l’île de Taïwan à cette époque, les coupures d’électricité. Yang réinterprète leurs manifestations pour en faire un élément dramaturgique capital par l’instauration d’une lutte incessante entre la lumière et l’obscurité (la quintessence de ce travail se vérifiera dans la célèbre scène du typhon où les pulsions dévastatrices se déchaînent tandis que les flashs lumineux peinent à en révéler toutes les conséquences ou encore par l’usage de la lampe torche qui éclaire l’espace intime de Xiao S’ir).

Dans la pensée chinoise, la lumière est associée au principe de connaissance. Ainsi, dans le lieu prométhéen qu’est un plateau de tournage de film (l’origine de l’éclairage des âmes et des yeux puisque ce qui se joue ici est amené à être projeté par l’intermédiaire d’un jeu avec la lumière dans une salle obscure), Xiao S’ir dérobera une lampe. Celle-ci lui permettra de poursuivre son travail scolaire la nuit, seul, enfermé dans son lit-placard et, bien sûr, d’accéder à la connaissance par les lectures qu’il s’autorisera.

La lumière est espoir et la lampe le vecteur par lequel le dessein s’installe dans la conscience de Xiao S’ir. Aussi, après la révélation du massacre lors de la nuit du typhon, Xiao S’ir intègre l’idée que le savoir peut être aussi source de destruction. Comment vivre maintenant que l’innocence s’est dérobée ? Impossible. Le trauma est là et il faudra vivre avec ou pas. Il est ainsi logique que la lampe rejoigne sa place initiale dans le studio de tournage de moins en moins fréquenté. Prométhée a perdu la guerre, la connaissance n’est pas arrivée toute seule, le Mal est aussi entré en l’homme que devient Xiao S'ir et il n’aura pas besoin de beaucoup de prétexte pour surgir.

Splitscreen-review Image de A brighter summer day d'Edward Yang
 

L'image de ce blu-ray de A brighter summer day est à la hauteur du film : superbe. Le bonheur de découvrir enfin le film dans sa version originale complète est total.

Pour ce qui est des suppléments, on trouve tout d'abord la bande annonce de la ressortie en salle 2018 du film et un module intitulé Un film-mondeJean-Michel Frodon, critique à Slate.fr et professeur à Sciences Po Paris, se livre à une analyse des différentes thématiques abordées dans A brighter summer day. Le grand mérite de ce module est de contextualiser avec pertinence le film et d'insister sur le rapport intime entre Edward Yang et le contenu scénaristique.

Peu de bonus mais la longueur du film demandait un maximum de place sur le disque afin de restituer avec justesse la beauté visuelle et formelle de A brighter summer day. À voir impérativement.

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Crédit photographique : ABRIGHTERSUMMERDAY©1991KAILIDOSCOPE… Tous droits réservés.

Suppléments (en HD uniquement sur le Blu-ray)
. UN FILM-MONDE (14 mn)
. BANDE-ANNONCE 2018

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