Splitscreen-review Image de L'ami américain de Wim Wenders

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L'ami américain

Publié par - 8 novembre 2023

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

L’hommage rendu à Wim Wenders ce mois d’octobre par Carlotta Films avec de somptueuses éditions vidéo, en attendant les éditions de Alice dans les villes, Faux mouvement et de Au fil du temps fin novembre, était double. Si nous avons déjà commenté Les ailes du désir (voir lien en bas de page), il nous revenait de considérer l’édition consacrée à L’ami américain également sortie le 17 octobre dernier. À la relecture, là encore, décontextualisation temporelle oblige, le film paraît plus étonnant qu’à sa sortie en salle. L’œuvre répond à une forme hybride constituée autant d’emprunts aux codes du film criminel américain qu’elle est le reflet d’une dimension « auteuriste » européenne en vogue à l’époque de sa réalisation. Le film témoigne donc des mutations qui opéraient dans le cinéma européen en même temps qu’il est représentatif de nouvelles aspirations cinéphiliques devenues la matière première de certains cinéastes des années 1960/1970.

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Depuis les années 1960, en Europe, une nouvelle génération de metteurs en scène s’est mise à lorgner sur la production américaine en lui empruntant des logiques qui permettaient aux réalisateurs européens de souligner à la fois leur admiration pour le cinéma américain mais également de signifier combien ils n’étaient pas dupes des libertés prises outre-Atlantique avec les réalités historiques ou contemporaines. De Truffaut à Leone, une dynamique s’enclenche et de nouvelles formes cinématographiques moins égocentrées voient le jour.

Wenders s’inscrit dans cette logique et ne dissimule rien de ses intentions dans L’ami américain. Il conçoit un schéma narratif qui, déjà, renseigne sur la nature de son film. À Hambourg, un encadreur et restaurateur de tableaux, Jonathan Zimmermann (Bruno Ganz), atteint d’une leucémie, croise lors d’une vente aux enchères un trafiquant américain de contrefaçons, Tom Ripley (Dennis Hopper). À cette occasion, Ripley apprend que Zimmermann est condamné. Ripley communique l’information à un de ses contacts qui sévit dans le monde du crime, Raoul Minot (Gérard Blain). Ce dernier va alors proposer à Zimmermann de commettre un crime à Paris en contrepartie d’une conséquente somme d’argent. Zimmermann, de fil en aiguille, accepte. Peu rompu à ce type d’entreprises, Zimmermann rencontre des difficultés qui vont se résoudre grâce à l’étrange présence de Ripley.

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Le principe du duo improbable de criminels est une constante dans les romans de Patricia Highsmith y compris, bien sûr, dans les deux œuvres qui servent d’ossature au film de Wenders (Ripley s’amuse et Ripley et les ombres). On trouve trace d’ailleurs de ce penchant dans L’inconnu du Nord-Express, première adaptation cinématographique de l’autrice réalisée en 1951 par Alfred Hitchcock. Dans un train, deux inconnus que tout sépare se rencontrent. Hasard ou calcul de l’un des deux ? Toujours est-il que dès cette rencontre, tout bascule et le destin de Guy Haines (Farley Granger) est scellé. La manière dont Hitchcock filme les échanges entre les deux hommes dans un compartiment de train est significative des doutes qui s’emparent de Haines mais aussi de l’étrange situation que ne manque pas de relever le spectateur. Wenders, en bon cinéphile, reproduira une scène de train pour le second contrat que doit honorer Zimmermann. À cette occasion, le cinéaste n’hésitera pas à distiller, par la mise en place du dispositif filmique ou par la gestion de la durée des plans, des éléments qui déstabilisent l’univers d’apparence familière qu’il installe en préambule de la séquence. Certes, ce fut précédemment fait dans le film notamment à chacune des apparitions de Ripley mais la scène que nous évoquons ici, sans doute parce qu’elle se déroule selon une unité de lieu précise et durable, un voyage en train, amplifie la contamination de l’univers par les troubles de Zimmermann. D’un plan à un autre, des cadrages contredisent le principe de continuité visuelle, des angulaires distordent les lignes qui construisent les plans, le monde semble s’effondrer. En réalité, le monde de Zimmermann, celui par lequel les images nous parviennent, est, en raison de sa maladie et des contrats qu’il accepte d’honorer, devenu bancal.

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Insidieusement, il appartient alors au spectateur de rétablir une sorte d’équilibre dans l’image et/ou le tissu narratif afin de rationaliser les événements auxquels nous assistons. Le cheminement de Zimmermann est dicté par un destin qui lui impose des contraintes auxquelles le personnage ne peut se soustraire. Accepter l’issue promise à Zimmermann, la mort, impose au personnage un parcours semé d’épreuves, toutes des morts symboliques, qui ne laissent planer aucun doute sur la fin du film. Relecture du film noir.

Le tragique s’empare de Zimmermann qui trouve en Ripley une réplique négative de lui-même. Le jeu des correspondances qui s’installe entre les deux personnages est inversement proportionnel aux qualités de chacun. Nul besoin de présenter Ripley, de tenter d’entrer dans sa psyché ou de le définir socialement, son personnage est une entité qui s’adapte et se structure en épousant des formes contraires à celles de son modèle, Zimmermann. Dans la pure tradition du cinéma allemand des années 1920/1930, Ripley est le double maléfique de Zimmermann, il est le sosie qui vampirise l’âme de l’autre.

Inspiré par deux romans de Patricia Highsmith, Wim Wenders parvient à transposer en Europe l’univers du film noir afin de mieux en revisiter les contours. L’ami américain se transforme, au-delà de son récit tortueux, en exploration d’une pensée cinéphilique nourrie par les traces de différentes esthétiques cinématographiques qui trouvent leurs origines dans l’Allemagne tourmentée de Weimar. Ainsi, L’ami américain se fait l’écho d’une angoisse sourde et profonde qui s’est répandue dans le monde occidental sans qu’aucune époque ne parvienne à apaiser la douleur existentielle qui en a résulté, même en 1977, date de réalisation du film.

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Crédit photographique : Copyright Wim Wenders Stiftung 2014

SUPPLÉMENTS

. "EINE STADT SIEHT EINEN FILM" (3 mn – HD)
Wim Wenders présente L’Ami américain dans le cadre du festival Eine Stadt sieht einen Film (Une Ville regarde un Film) de Hambourg en 2018.
. ENTRETIEN AVEC WIM WENDERS (46 mn – HD)
. SCÈNES COUPÉES AVEC OU SANS COMMENTAIRE AUDIO DE WIM WENDERS [ENREGISTRÉ EN 2001] (36 mn)
. LES RÉALISATEURS APPARAISSANT DANS "L’AMI AMÉRICAIN" (8 mn – HD)
. BANDE-ANNONCE ORIGINALE

LE LIVRET EXCLUSIF (40 PAGES)
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