Journal de la Petite Lumière J7
Publié par Eric Scheiber - 22 octobre 2017
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
Séance du jour sous un ciel gris et pluvieux accompagné d'une chaleur étouffante. Je ne m'imaginais pas à quel point ce temps était en accord avec la soirée à venir. Au programme, la découverte d'un autre classique qui m'est inconnu : L'Exorciste de William Friedkin. Considéré comme l'un des plus grands films d'horreur de tous les temps, nombre de mes amis m'ont raconté en avoir gardé un bon souvenir ; ironique pour un film d'épouvante. Mais ce qui a réellement attisé ma curiosité, c'est que la critique en général semble semble apprécier ce film autant que les spectateurs. Pour une œuvre appartenant à un genre si régulièrement méprisé par la critique, cela rendait la chose d'autant plus intrigante. Pourquoi concordance des opinions autour de ce film là ?
Comme beaucoup d'adolescents, j'ai grandi en voulant me faire peur de temps à autres. Slasher movies, jeux d'horreur et monstruosités Lovecraftiennes ont ainsi régulièrement habités mes soirées. Je ne pense pas me tromper en pensant que je partage ce goût du frisson avec pas mal de monde. Affronter l'inconnu pour savoir où se situent nos limites, connaitre ses peurs enfouies, autant de sensations fascinantes et naturelle.
Installé dans la salle, devenue bien familière désormais, je patiente en redoutant ce qui va apparaître à l'écran. On redoute la peur et, en même temps, nous sommes intrigués par la forme qu'elle prendra. Les craintes se dissipent très vite et laissent place à l'euphorie quand est annoncée l'entrée dans la salle de William Friedkin. Un tonnerre d'applaudissement résonne. Dès qu'il prit la parole, nous nous sommes très vite sentis comme des petit-enfants écoutant les histoires de grand-père. Avec sa voix un peu rauque et fatiguée, il revient sur l'aventure incroyable et amusante qu'a été le tournage en Irak de L'Exorciste. Des difficultés en apparences insurmontables, de l'exotisme, de la tension, de l'émotion, de l'ironie et des situations cocasses… Ses anecdotes fascinent et amusent l'auditoire. Puis il se retire sous une clameur renouvelée. Place au film.
Une fois sortie, je m'amuse un peu de moi-même. Je me rends compte qu'en réalité, le film n'était pas aussi effrayant que je l'imaginais. La terreur tant redoutée fût plus angoissante que la réalité du film. En revanche, le scénario et sa mise en scène me fascinèrent immédiatement. Plusieurs destins évoluent en parallèle avant de se croiser autour de la petite Regan Theresa MacNeil, qui semblent progressivement possédée par un démon. Et là où beaucoup de film d'horreur font tourner leur intrigue autour du monstre et son origine, l'Exorciste s'interroge sur l'humain qui habite les personnages. Nous nous intéressons plus à l'impact du surgissement démoniaque sur la vie des gens, leurs réactions, qu'à comprendre qui est le monstre.
Dès le départ, nous sommes plongés en Irak auprès du Père Merrin. Nous sommes inquiets pour ce pauvre vieil homme car tout semble indiquer que sa vie va bientôt prendre fin. Rien de surnaturel. Lorsque nous quittons l'orient pour Georgetown, c'est pour rencontrer la famille McNeil. La mère, Chris, est une actrice fameuse mais épuisée, éreintée. Son mari est absent et injoignable en permanence. Elle doit pourtant faire bonne figure pour sa fille de douze ans, Regan, qui se rend bien compte des travers de sa mère. C'est alors que le comportement de Regan devient de plus en plus violent et vulgaire, tandis que d'étranges évènements se produisent.
Mme. McNeil consulte des médecins. Ceux-ci tentent de comprendre ce qui arrive à l'enfant et de résoudre le problème à coup de médicaments et chirurgies. Mais rien n'y fait. L'assurance et la rationalité du corps médical fond comme neige au soleil devant ce cas incompréhensible. Leur acharnement semble même faire plus de mal que de bien. Il faut toute l'insistance de la mère pour les empêcher de mettre Regan à l'asile. La médecine semble incapable de sauver l'enfant quand un docteur suggère un exorcisme en déclarant qu'il s'agirait d'un pur exercice de suggestion. Mais en réalité, c'est parce que l'enfant n'en est plus vraiment une.
En réalité, Theresa n'est plus une pré-adolescente. Elle commence à devenir une femme. Le film, tout en restant dans le fantastique, devient une allégorie psychiatrique. Une partie des obscénités prononcées et des actes de Theresa ont un caractère sexuel. Comme si s'exprimait des désirs extrapolés qu'elle ne peut réprimer. Parabole sur la crise d'adolescence ? Qui n'a pas songé un jour que le passage à cet âge dit ingrat était le moment le plus pénible et inquiétant de la vie des parents ? Les enfants changent radicalement, ils sont méconnaissables et se lancent dans des excès terrifiants. Les parents perdent tout contrôle sur eux et ne les comprennent plus. Pas de hasard à ce que l'autre héros du film, le Père Karras, est psychiatre de formation.
Ses deux vocations, la religion et la psychiatrie, semblent se télescoper pour confirmer un double niveau de lecture. Car, au-delà de son approche rationnelle des choses, l'épreuve sera également la sienne et constituera une véritable remise en question de sa foi. Il sait être psychologue avec les gens, mais il a perdu le sens de son rôle d'homme d'église. Le spectateur est enclin à comprendre cette remise en question car le Père Karras semble vivre dans un monde qui est d'ores et déjà l'enfer. Les enfants incarnent d'ailleurs les véritables monstres de cet univers. Puis vient le décès de sa mère, la culpabilité l'envahit, il ressent le besoin de se racheter. Il va donc tenter le dangereux exercice de l'exorcisme avec l'aide du Père Merrin.
Le vieil homme devient le mentor et le sauveur. Quand on voit comment le démon transforme la jeune fille, on se pose la même question que le Père Karras : "Pourquoi elle ?". Le Père Merrin lui donne alors une réponse qui expliquerait également pourquoi le diable semble habiter ce monde : "Parce qu'il veut nous faire désespérer." Le Père Karras comprend son rôle. En tant que prêtre et psychiatre, son rôle est de maintenir vivace le sentiment d'espoir en sauvant la jeune fille, symbole de l'innocence, du démon qui possède son corps. Il sait que Regan est toujours là-dedans grâce à un appel à l'aide formulé depuis l'intérieur du corps de Regan, de son inconscient.
Au final, je comprends l'intérêt suscité par ce film. Je me retrouve de nouveau face à un conte utilisant une esthétique au service de son récit. Spielberg utilisait l'alien comme figure de l'étranger, de l'inconnu. Ici, l'horreur est peut-être la vision déformée du passage à l'âge adulte d'une femme, vue à travers les yeux d'une mère fatiguée et désespérée. Friedkin m'était inconnu avant aujourd'hui. Désormais, je garderai son nom précieusement en mémoire.
Crédit photographique : copyright D. R.