Dupontel s'en va-t-en guerre.
Adapté du roman éponyme de Pierre Lemaitre, le dernier film d’Albert Dupontel, Au revoir là-haut, nous propose une nouvelle fresque sur l’après-guerre. Albert Maillart, aux arrêts dans une gendarmerie des colonies d’Afrique du Nord, raconte son histoire qui commence à la fin de la première guerre mondiale dans une France entrant dans le XXe siècle. Son récit débute sur le cauchemar du no man’s land en date du 9 novembre 1918.
Quand bien même courte quant à la durée du film, cette séquence dans les tranchées nous rappelle ce que Kubrick nous avait proposé dans Les Sentiers de la Gloire. La caméra démiurge suit un chien-messager qui sillonne entre les cratères d’obus pour s’enfoncer au milieu de ces tranchées boueuses dans lesquelles les poilus attendent, avec silence et espoir, un armistice en discussion. De l’ombre surgit le Lieutenant Pradelle, cynique arriviste attaché à gagner ses galons, qui lance une dernière offensive qu’il a lui-même orchestrée. Une offensive dont l’absurde est explicité par l’absence visuelle de l’ennemi. Attaque qui aura pour conséquence le traumatisme d’Albert et la défiguration de son camarade, Edouard Péricourt, jeune artiste taciturne. Une séquence qui illustre la phrase de Churchill : « des lions menés par des ânes ». Une phrase que l’on retrouvera dans cette fresque sociale.
Dans Au revoir là-haut, Dupontel s’intéresse avant tout aux conséquences de cette guerre effroyable, de la misère sociale qui en a découlé et du chaos ambiant derrière ces « années folles ». Folles certes pour les grand industriels, enrichis par la guerre et en lien très étroits avec le pouvoir politique ; mais quid des « petits », des mutilés, des sans-emplois, des pupilles de la nation ? Le nerf de cette Der des ders est devenu roi et, de fait, les puissants ses vassaux (maires, administratifs, militaires…). Un pouvoir sans scrupule incarné en la personne de Pradelle (Laurent Lafitte), prédateur social faisant fi de tout respect des morts ou d’humanité, tant que son affaire malhonnête prospère.
Cette corruption et cet enrichissement sur les morts sera dénoncé par la vengeance du héros tragique de cette histoire, Edouard Péricourt. Artiste conscient, gueule cassée, le plus lucide de tous quant à cette injustice et cette hypocrisie, mais qui ne l’exprimera que de manière indirecte. Dépourvu du verbe, il reste pourtant celui qui communique le plus. Beaucoup de choses sont exprimées par Louise (l’innocence perdue) et par le jeu de regard exceptionnel que nous offre le jeune Nahuel Pérez Biscayart ; tout se transmet par les yeux de l’artiste (miroir de l’âme) et ses œuvres reflètent son regard. Différents masques qui s’inscrivent comme des canevas de la Commedia dell’Arte pour exprimer son état d’âme, et d’autres créations (caricatures, croquis de statue) expriment aussi le « boom » artistique des années 20 avec les modernes (Picasso, Dali, Buñuel) et les auteurs désabusés de la lost generation (Hemingway, Fitzgerald…).
Entre ces deux mondes refermés sur eux même, (les riches dans leur opulence, Edouard et Louise dans l’atelier), dans Au revoir là-haut se déplace le personnage d’Albert Maillart, témoin du monde en action, et instrument des rapports entre chaque milieu. Le personnage est proche de ceux que Dupontel a incarnés dans ses précédents films (Bernie, Enfermé dehors, 9 mois ferme...). Il est un homme très simple, une sorte de béotien au grand cœur qui traine un passé malchanceux et qui découvre là les milieux privilégiés avec un regard un peu enfantin.
Sur plusieurs aspects, on retrouve dans Au revoir là-haut la touche Dupontel. Ces angles de caméra intimistes, parfois voyeurs (comme une petite souris cachée dans les coins), ce montage allant de scènes qui nous laissent appréhender l’atmosphère des décors, à des scènes aux coupes rapides indexées au tempo de la voix-off. Et surtout il y a cet humour très « Dupontelesque », parfois grinçant, parfois situationnel, où l’on ne sait si l’on peut en rire ou non. Il y a aussi ces personnages archétypaux de la société française (le fonctionnaire, le militaire, le banquier…) souvent joués par les acteurs récurrents du cinéaste (Philippe Uchan, Michel Vuillermoz, Philippe Duquesne) qui autorisent des bouffées d’oxygène, des respirations dans cette grande dramaturgie.
Beaucoup de grand réalisateurs ont approché la seconde guerre mondiale, trop peu ont approché la dite « Grande Guerre » : Dupontel l’a fait, avec une poésie ne manquant pas de vraisemblance.
Crédit Photographique : Copyright Gaumont / Jérôme Prébois / ADCB Films