François Ozon est un cinéaste effervescent. Moins d’un an après la sortie de Frantz, film à la beauté classique, il s’empresse de rebattre les cartes en proposant une nouvelle composition aux ambitions modernes et iconoclastes, L’amant double. L’ouverture du film donne le ton avec une séance coiffure aux allures de shooting photo qui permettra de situer le propos. On découvre dans ce préambule d’apparence minimaliste une jeune femme visiblement fragile et inoffensive assise dans un espace où la temporalité est suspendue, un portrait formellement plat qui trouve une résonance immédiate avec le précédent film du tandem François Ozon – Marina Vacth. Il s’agira ici de s’affranchir du personnage opaque de Jeune et jolie pour tendre vers un portrait de femme aussi mystérieuse que diabolique. Elle attend donc, d’être apprêtée, rappelons ici le passé de mannequinat de Marina Vacth, métamorphosée pour le rôle, prête à incarner le personnage pour finalement jeter son dévolu sur la caméra, donc le spectateur, dans un regard noir qui n’est pas sans rappeler celui de l’omnisciente Alice Harford dans Eyes wide shut.
À cette séquence de présentation François Ozon juxtapose un premier gros plan audacieux qui force le spectateur à pénétrer dans les profondeurs organique du personnage de Chloé avant de se fondre géométriquement dans son œil. Le choc visuel ainsi passé, nous pourrons nous plonger de manière naturelle dans la dimension métaphorique du film tout en nous livrant au jeu pervers de l’observation clinique du personnage. La question du regard continuera d’être posée tout au long de L’amant double. Chloé elle-même confessera à son psychiatre, lors de sa première consultation, son besoin d’être vue pour exister, par sa mère, ses amants, les autres et c’est fort logiquement qu’elle trouvera dans la foulée un travail de gardienne de musée, lieu de tous les regards. La salle dans laquelle Chloé intervient, ou plutôt patiente, expose différentes œuvres et installations, tout au long du film, dont la forme physique reflète les états mentaux que traversent notre héroïne.
Une fois encore, François Ozon nous propose une approche singulièrement moderne lorsque Chloé va se fondre littéralement dans les murs du musée jusqu’à devenir la matière même de l’écran cinématographique dans un fondu au blanc fort à propos comme transition vers un univers indéfini, celui de sa névrose mentale irrémédiable. Aussi, chacune de ses déambulations au musée sera soulignée par des poursuites en steady cam, rappelant celles d’Exotica d’Atom Egoyan, nous donnant un peu plus l’impression de pénétrer un espace organique tantôt tubulaire, tantôt synaptique. En ce sens le travail sur les décors de Sylvie Olivé est remarquable, que cela soit dans les traductions plastiques des différents états mentaux de Chloé, les profonds aplats de rideaux tombants ou les corridors labyrinthiques dans lesquels elle n’aura de cesse de se perdre.
De nombreux emprunts, Roman Polanski (Rosemary’s baby), David Cronenberg (Faux-semblants), jalonnent de façon évidente le film de François Ozon, pour autant il ne faudra pas limiter L’amant double à ses seules filiations thématiques. Véritable plongée dans l’enveloppe corporelle de Chloé, L’amant-double se nourrit de sa matière et fouille jusque dans les secrets les plus noirs et autres fantasmes inavouables d’une femme seule. Il nous rappelle que dans un monde froid et aseptisé l’imaginaire permettra à certains d’entre nous de reconnecter avec le réel et que dans les moments de quiétudes éphémères la frustration reviendra toquer à la fenêtre, parfois avec violence, comme pour briser la glace.
Crédit photographique : Copyright Mars Films