Creepy est l'histoire d'un ex-détective devenu professeur en criminologie qui s’installe avec son épouse dans un nouveau quartier, à la recherche d’une vie tranquille. Alors qu’on lui demande de participer à une enquête à propos de disparitions, sa femme fait la connaissance de leurs étranges voisins...
Huit longs-métrages en cinq ans (en comptant Shokuzai, initialement série TV transformé en format cinéma sur deux parties), voilà le rythme sur lequel surfe Kurosawa Kiyoshi. Rythme endiablé que ne renierait pas son compatriote tout aussi affamé de tournage Miike Takashi. Mais lorsque Miike « choisit » ses films (alternance de films de commande et films plus personnels), Kurosawa propose lors de ce marathon uniquement des œuvres dites "d’auteur", sur lesquelles il endosse généralement aussi le rôle de scénariste. Ce choix de concilier quantité et qualité (comme Fassbinder en son temps) représente un pari très risqué, pouvant engendrer sentiment de répétitivité et lassitude chez le spectateur.
Mais Kurosawa est un explorateur des mondes cinématographiques. Il le prouvera à nouveau cette année avec la sortie de pas moins de trois films en quelques mois, tous d’un genre distinct : les fantômes pour Le Secret de la Chambre Noire, les extraterrestres de Avant que Nous Disparaissions et donc le thriller avec Creepy. Bien que les styles cinématographiques soient éclectiques, un fil rouge structure évidemment l’univers du metteur en scène : une passion pour l’inattendu placé dans un cadre balisé et en apparence sous contrôle (un résumé du Japon dans sa culture et sa société en quelque sorte). Creepy démarre ainsi comme un thriller classique sur lequel les bases sont toutes appliquées à la lettre. Le flic traumatisé qui s’ennuie, la petite famille tranquille qui ne le restera pas longtemps, l’enquête sortie du placard… Une première moitié aux atours de Se7en, qui donne ses lettres de noblesse au film grâce à la présence de l’élément sur lequel il se repose totalement : son (possible) criminel.
Cet objet de fascination, c’est le voisin improbable de l’ex-enquêteur et de sa femme, incarné par le très bon Kagawa Teruyuki (déjà aperçu en France sur Tokyo Sonata du même metteur en scène). Il campe ce personnage quasi-animal au comportement asocial, dont le tout-venant se méfiera instinctivement. Sa présence perturbante, gravitant autour du couple « ordinaire » et tentant de l’intégrer par des moyens non-conventionnels, aborde la question du regard d’autrui et de sa différence, éternel sujet épineux, surtout, dans une société aussi conservatrice que le Japon. D’autant que ce voisin étrange possède bien des similitudes avec le criminel recherché par l’ex-enquêteur… Le Mal Incarné habite t-il réellement à côté de chez nous ? C’est un véritable jeu de dupe oscillant entre paranoïa et acceptation de l’autre qui se met astucieusement en place, jusqu’à une délicieuse scène de dîner partagé.
Moment autour duquel tout s'articule, puisqu’à partir de cet instant, le film bascule dans une farce grotesque, gore et surtout totalement absurde. Partis de Se7en, nous chutons dans une version sans queue ni tête de J’ai Rencontré le Diable. Mais là où l’extravagance et le punch visuel de Kim Jee-Won donnait son sens au film, Creepy s’enferre dans un rythme plat, mou, où la cohérence s’efface totalement de l’équation. On ne sait s'il faut rire ou pleurer au fur et à mesure que l’illogisme le plus malaisant prend possession du film. L’on pourra alors chercher un sens du côté du surréalisme, de la métaphore à tout prix ou d’une cinquième couche de lecture… A la manière d’une œuvre contemporaine, chaque personne se fera une idée de ce qui a donné à Kurosawa l’envie de transformer complètement son film sur la deuxième heure. Mais au-delà de sa grille de lecture, disons ouverte, la franche lenteur et la photographie devenant subitement fainéante (voire terriblement laide) risque de rebuter plus d’un spectateur médusé.
Après Vers L’Autre Rive, maitre étalon dans sa filmographie, il est donc bien difficile de retrouver un souffle de fraîcheur sur le cinéma de Kurosawa, en dépit de son envie évidente d’innover et de surprendre.
Crédit photographique : Copyright Eurozoom